Alors que la population africaine devrait doubler d’ici 2050 et que l’urbanisation s’accélère, le continent fait face à un dilemme énergétique majeur : faut-il investir massivement dans l’énergie nucléaire ou miser résolument sur les énergies renouvelables ? Une question stratégique, alors que la demande en électricité pourrait tripler au cours des 25 prochaines années.
Le nucléaire, une promesse… à long terme
Le nucléaire séduit par sa capacité à produire de l’électricité de manière massive, stable et sans émission de carbone. Des pays comme l’Égypte et l’Afrique du Sud ont déjà lancé leurs programmes, tandis que d’autres comme le Nigeria, le Ghana, le Kenya ou le Maroc affichent leur intérêt.
Mais cette technologie reste lourde, coûteuse et lente à déployer. « C’est un pari économique dangereux », prévient Tony Tiyou, ingénieur camerouno-britannique et fondateur de Renewables in Africa, une plateforme qui promeut les énergies propres sur le continent.
« On parle de 6 000 à 10 000 dollars le kilowatt pour une centrale nucléaire, contre 800 dollars pour le solaire. Même les petits réacteurs SMR explosent en coûts. »
Sans compter les délais de mise en service : 10 à 15 ans, parfois plus. Un luxe que le continent ne peut se permettre alors que 700 millions d’Africains vivent encore sans électricité.
Et au-delà de l’enjeu économique, d’autres obstacles se dressent : la rareté de l’eau – une centrale nucléaire consomme jusqu’à 2 000 litres par MWh –, l’absence d’expertise en sécurité nucléaire et le risque de catastrophes impossibles à gérer.
« L’Afrique n’a pas, aujourd’hui, la capacité de faire face à un accident nucléaire. Regardez Fukushima : 200 milliards de dollars de dégâts. Ce n’est pas neutre. »
Les renouvelables, une réponse adaptée aux réalités africaines
Face à ces défis, le solaire et l’éolien s’imposent comme des solutions plus pragmatiques. Les coûts ont chuté de manière spectaculaire : –89 % pour le solaire et –70 % pour l’éolien en dix ans.
« Une centrale solaire peut être opérationnelle en 1 ou 2 ans, contre plus de 10 ans pour le nucléaire. Et elle coûte moins de 4 centimes par kWh, contre 15 centimes pour le nucléaire. »
Autre avantage décisif selon Tony Tiyou : la capacité des renouvelables à électrifier les zones rurales, où vit 80 % de la population africaine.
« Avec les mini-réseaux solaires, on peut apporter de l’électricité dès aujourd’hui dans des zones enclavées, sans attendre les mégaprojets centralisés. »
Alors, pourquoi ce frein au déploiement massif ?
Malgré tous ces avantages, le solaire et l’éolien ne s’imposent pas encore à grande échelle. Mais selon Tony Tiyou, le problème n’est ni technologique ni économique, mais politique et financier.
« Les subventions aux énergies fossiles sont encore cinq fois supérieures à celles accordées aux renouvelables. Et les réseaux électriques africains, vétustes, peinent à intégrer cette nouvelle production. »
Autre frein : l’accès au financement. Les banques locales prêtent à des taux très élevés, jusqu’à 30 %, contre 2 % en Europe. Résultat : les investisseurs privés préfèrent des marchés plus stables.
L’investissement privé préfère les renouvelables
Les chiffres sont éloquents. En 2023, près de 12 milliards de dollars ont été investis en Afrique dans les énergies renouvelables. Pour le nucléaire ? Zéro.
« Le nucléaire, ce sont les États qui payent. Les investisseurs privés fuient le risque, les délais et la dépendance à la politique. Or l’Afrique n’a pas les moyens de financer seule des projets aussi lourds. »
Une solution d’avenir, mais pas d’urgence
Faut-il pour autant exclure totalement le nucléaire ? Pas forcément. Tony Tiyou admet que, sur le long terme, il pourrait jouer un rôle dans un mix énergétique africain. Mais pas dans l’immédiat.
« L’Afrique du Sud et l’Égypte, qui ont déjà atteint un haut niveau d’électrification, peuvent envisager cette voie. Pour les autres pays, la priorité doit rester l’accès rapide, bon marché et décentralisé à l’énergie. »
Miser sur ce qui marche maintenant
Pour Tony Tiyou, le choix est clair : l’Afrique doit parier sur les solutions qui fonctionnent aujourd’hui.
« Il faut électrifier maintenant, pas dans 20 ans. Il ne faut pas sacrifier une génération. Les renouvelables sont prêtes, abordables, adaptées. Le nucléaire ? Ce sera peut-être pour demain, mais ce n’est pas la réponse à l’urgence d’aujourd’hui. »
Cliquez sur l’image pour écouter l’intégralité de l’interview de Tony Tiyou, fondateur de Renewables in Africa.
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Pays de pêche par tradition, le Sénégal doit aujourd’hui composer avec un nouvel acteur dans ses eaux : l’industrie pétrolière et gazière. Si elle fait naître d’immenses espoirs économiques, cette activité bouleverse un écosystème déjà fragilisé par le changement climatique et la surexploitation. Entre espoirs de croissance et alertes environnementales, les communautés de pêcheurs craignent de disparaître, à petit bruit.
Une pression de plus sur un secteur déjà vulnérable
Dans un contexte où la pêche artisanale sénégalaise est confrontée à la raréfaction des ressources halieutiques et à la pêche illicite, l’émergence de l’exploitation offshore du gaz et du pétrole fait craindre le pire. Pour Bassirou Diarra, enseignant-chercheur à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, les risques environnementaux sont bien réels : « Les puits de pétrole ou les puits de gaz, rien ne garantit à 100 % qu’il n’y a pas de fuite et de pollution. Et ces pollutions peuvent être invisibles à l’œil nu, mais au niveau de la chaîne alimentaire, depuis le micro jusqu’au macro, pourraient apporter ce qu’on appelle des perturbations. Et ces perturbations peuvent affecter aussi les grands poissons, notamment les poissons qui sont ciblés par la pêche artisanale. »
Des plateformes trop proches des zones de pêche
Ibrahima Mar, coordonnateur du Réseau national des Conseils locaux de la pêche artisanale, ne cache pas son inquiétude. Selon lui, les plateformes sont installées dans des zones historiquement occupées par les pêcheurs : « La couleur de l’eau va sûrement changer dans l’espace où elles se trouvent. Il y a aussi la pollution sonore avec le bruit des machines. […] Et à un kilomètre de ces plateformes, il est interdit de pêcher. Ça, c’est un impact ! […] Ce qui va obliger les pêcheurs à aller les chercher partout, même si ces poissons se trouvent au fond de ces plateformes. Et ça, c’est un danger. »
En somme, l’exploitation offshore ne laisse que peu d’espace aux communautés traditionnelles qui vivent de la mer.
Transparence, équité et justice sociale
Pour Bassirou Diarra, l’un des enjeux majeurs est la gouvernance. Il appelle à plus de transparence dans la gestion aussi bien des ressources halieutiques que des ressources pétrolières : « Que ce soit dans les industries extractives ou au niveau de la pêche, qu’on travaille à mettre la transparence pour savoir qui fait quoi ? Où il le fait ? Quand il le fait ? À qui cela profite aussi ? […] Est-ce que l’argent permet de domicilier les valeurs ajoutées au niveau des communautés qui sont les plus impactées, parce qu’on dit que les ressources appartiennent à l’État ? Et donc, patrimoine national. »
La question de la redistribution des bénéfices issus des hydrocarbures est centrale pour éviter que les pêcheurs ne deviennent les oubliés du développement.
Un secteur stratégique pour l’économie
Du côté des économistes, les discours sont plus optimistes. Seydina Oumar Seye, spécialiste des questions de développement, voit dans l’exploitation des hydrocarbures un levier de transformation : « Le secteur des hydrocarbures a un potentiel transformateur. En effet, les découvertes gazières et pétrolières ont forcément un impact sur le PIB parce que, selon la Banque mondiale, la production gazière pourrait ajouter 1 à 2 points de croissance dès cette année 2025. Les recettes publiques aussi, dans le même temps, pourraient générer 1,5 milliard de dollars par an à partir de 2027, selon les estimations du FMI. »
Et pour cause, le FMI prévoit un taux de croissance record de 8,4 % pour le Sénégal en 2025, faisant du pays l’un des leaders africains à suivre.
Ne pas sacrifier un pilier de l’économie locale
Mais en parallèle de cette « manne attendue », la pêche artisanale reste un pilier vital de l’économie sénégalaise : plus de 50 000 emplois directs et plus de 500 000 indirects y sont liés. Elle contribue à hauteur de 3 % du PIB national, tout en assurant la sécurité alimentaire de millions de Sénégalais.
Le risque est donc grand : que les retombées économiques du gaz et du pétrole se fassent au prix de la disparition d’un secteur structurant, à la fois économique, social et culturel. La question reste posée : comment développer les ressources du sous-sol sans enterrer les richesses de la mer ?
Cliquez sur l’image pour écouter le reportage de Robert Adé, le correspondant de la DW su Sénégal.