C'est un camouflet pour le gouvernement de Friedrich Merz et sa politique d'asile : le tribunal administratif de Berlin a jugé illégal le refoulement à la frontière polonaise de trois Somaliens qui avaient demandé l'asile en Allemagne.
Les deux hommes et la jeune fille de 16 ans étaient arrivés en train de Pologne le 9 mai. Ils ont été arrêtés par la police à la gare de Francfort sur l'Oder, dans le cadre d'un renforcement des contrôles aux frontières.
Leur demande d'asile a tout simplement été ignorée par les policiers qui les ont reconduits à la frontière. L'association Pro Asyl a soutenu la procédure d'urgence engagée pour contester leur renvoi.
"Ces trois personnes originaires de Somalie, dont une mineure, ont été refoulées trois fois en peu de temps et, les deux premières fois, la police fédérale a déclaré qu'aucune demande d'asile n'avait été exprimée", explique Karl Kopp, le directeur général de l'organisation.
"La troisième fois, une demande d'asile a été déposée par un avocat, mais les trois ont quand même été refoulés. Nous pouvons donc dire que par trois fois, le droit élémentaire de déposer une demande de protection a été bafoué. Et ceci malgré le fait que la jeune fille avait de graves problèmes physiques comme des blessures aux pieds. Il y a donc plusieurs choses qui s'additionnent. On a ignoré le droit européen et on a en outre complètement ignoré les critères humanitaires."
Une procédure contraire au droit européen
Le tribunal administratif de Berlin a donc jugé que la procédure de refoulement était contraire au droit allemand et européen. Avant d'envisager une reconduite à la frontière, les autorités allemandes auraient dû examiner si les demandeurs d'asile étaient passés au préalable par d'autres pays de l'UE, afin de déterminer quel Etat membre est responsable de la demande d'asile. C'est ce que prévoit le règlement dit "de Dublin".
"La Pologne n'était pas le premier pays de destination, mais les trois personnes ont indiqué qu'elles étaient entrés par la Lituanie après avoir été refoulées à plusieurs reprises à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie par ce qu'on appelle les "pushback", qui constituent d'ailleurs une violation du droit international", souligne Karl Kopp.
"Ils sont entrés, selon leurs dires, par la Lituanie et ont traversé la Pologne, et ont été enregistrés pour la première fois en Allemagne à la frontière germano-polonaise par la police fédérale. Par conséquent, la Pologne n'était pas non plus compétente, selon les règles de Dublin."
Le ministre de l'Intérieur fait la sourde oreille
A la suite du jugement, le ministre de l'Intérieur Alexander Dobrindt a confirmé lors d'un point de presse que la décision du tribunal serait respectée. Mais il a réaffirmé que le gouvernement continuerait à appliquer
sa politique de renvoi systématique aux frontières.
"Nous maintenons par ailleurs les refoulements. Nous constatons que la base juridique est donnée et nous continuerons donc à procéder de la sorte, tout à fait indépendamment de cette décision individuelle."
Selon le ministre de l'Intérieur, 2.850 migrants ont été refoulés aux frontières depuis le 8 mai. Un afflux que l'Allemagne n'est d'après lui pas en mesure de gérer.
"L'objectif est d'envoyer un signal clair que nous continuerons à maintenir que l'Allemagne ne peut pas faire face à ce nombre élevé de nouveaux arrivants, de demandeurs d'asile et de réfugiés et que ces rejets continueront donc à avoir lieu."
Une "situation d'urgence nationale" basée sur du ressenti
Avant le tour de vis du gouvernement de Friedrich Merz, le refoulement ne concernait que les personnes qui n'avaient pas déposé de demande d'asile et les étrangers frappés d'une interdiction temporaire d'entrée sur le territoire, par exemple en raison d'une expulsion antérieure.
Mais le gouvernement a fait de la lutte contre la migration irrégulière sa priorité. Et invoqué, dans sa défense devant le tribunal de Berlin, une "situation d'urgence nationale" justifiée par un nombre trop élevé de demandeurs d'asile.
Un point que le tribunal a rejeté. A juste titre, estime Franz Mayer, professeur de droit constitutionnel et européen à l'Université de Bielefeld.
"C'est un niveau de saturation ressenti et il ne correspond pas à la réalité : le nombre de demandes d'asiles est en baisse. Ensuite, il n'est pas prouvé qu'un effondrement de l'ordre public en Allemagne, qui justifie la 'situation d'urgence nationale', soit imminent. Et indépendamment du constat d'un 'trop' ressenti, il y a les promesses électorales qui promettent un changement de politique en matière d'asile."
Un mépris du droit qui inquiète
Le chancelier a voulu ainsi tenir une de ses principales promesses de campagne de réduire l'immigration dans le pays, avec l'objectif affiché de contrecarrer l'extrême droite sur son propre terrain. Karl Kopp, de Pro Asyl, y voit une tendance inquiétante.
"C'est très irritant et effrayant de voir que dans un État de droit, le ministre fédéral de l'Intérieur, qui est aussi garant de la Constitution, traite le droit et les tribunaux de cette manière. Dans un État de droit, même un ministre fédéral de l'Intérieur doit se conformer au droit européen, international et national, et Dobrindt ne le fait pas."
"C'est très dangereux", confirme Franz Mayer, "car un mépris ouvert du droit menace la stabilité non seulement de la communauté de droit européenne, dans laquelle nous sommes mutuellement dépendants du respect du droit, mais ce sont aussi les fondements mêmes de l'État de droit qui sont en jeu. Or on peut voir aux États-Unis, avec Trump, ce qui se passe lorsque le droit devient de plus en plus une valeur arbitraire. C'est l'arbitraire qui finit par régner."
La multiplication des contrôles et le refoulement des demandeurs d'asile aux frontières ne sont qu'un des aspects du durcissement de la politique migratoire de l'Allemagne.
Le gouvernement Merz a également décidé de suspendre le regroupement familial pour les réfugiés qui n'ont qu'un statut subsidiaire. Il prévoit aussi de supprimer le mécanisme de naturalisation accélérée mis en place par son prédécesseur.
+++++++++++++++++++++++++++++++
En Italie, la lutte contre la criminalité organisée démarre à l'école
En Calabre, fief historique de la redoutable N’drangheta, l’association culturelle BS sensibilise depuis 2019 les lycéens au phénomène avec son programme Libres de Choisir - Justice et Humanité.
Pendant des mois, ils ont étudié le livre du magistrat sicilien Roberto Di Bella qui propose aux fils de mafieux d'expérimenter une nouvelle vie loin de leurs terres et de leur famille. Une manière de promouvoir l'éducation à la légalité mais surtout de combattre la "mentalité mafieuse" qui imprègne encore certains territoires du sud du pays.
Fin mai, les participants de l’année étaient invités à se réunir à l’Ecole des Elèves carabiniers de Reggio de Calabre dans le sud du pays. C'est un reportage de notre correspondante, Cécile Debarge.
Ecoutez et abonnez-vous au podcast Vu d’Allemagne sur Apple Podcasts, Spotify ou n'importe quelle autre application de podcasts ! Vu d'Allemagne est aussi diffusé le mercredi à 17h30 et le dimanche à 17h05 TU sur la plupart des radios partenaires de la DW.