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PolitiqueAmérique du Nord

Les visées expansionnistes des Etats-Unis sur le Groenland

Sandrine Blanchard | Stephanie Höppner
28 mars 2025

Une délégation américaine de haut rang se rend au Groenland. Les habitants sont défavorables à l'annexion par les USA, envisagée par Donald Trump. Ils dénoncent une "provocation".

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Groenland 2023 | Vue enneigée de la Pituffik Space Base (anciennement Thule Air Base) américaine
La Pituffik Space Base revêt une importance stratégique pour la défense des Etats-UnisImage : Thomas Traasdahl/Ritzau Scanpix/AFP

Le vice-président américain entame aujourd'hui une visite de quelques jours au Groenland. JD Vance accompagne une importante délégation … or cette visite suscite la crispation des Groenlandais qui y voient une "provocation" des Etats-Unis. JD Vance et son aréopage sont en effet venus… sans être invités.

Visite d'une base militaire américaine

Le voyage de hauts responsables américains avait été annoncé il y a plusieurs jours déjà. Et depuis, les critiques se multiplient au Groenland.

Le programme a même dû être remanié pour arrondir les angles : la visite de lieux historiques et la course de traîneau ne figurent plus à l'agenda, seulement la visite de la Pituffik Space Base. Il s'agit d'une base militaire américaine située sur ce territoire autonome qui dépend du Danemark.

USA Michigan 2025 | JD Vance lors d'une allocution avec son épouse Usha en arrière-plan
Le vice-président américain prend part lui aussi à cette visite au GroenlandImage : Jeff Kowalsky/AFP

La diplomatie danoise salue cette modification du programme de la délégation américaine.

Au vu de la première version de ce programme, la Première ministre danoise avait parlé de "pression inacceptable" des Etats-Unis.

JD Vance, Mike Waltz, Chris Wright...

JD Vance, le vice-président américain est aussi du voyage. Au départ, seule son épouse Usha devait effectuer le déplacement, avec leur fils.

"Je ne voulais pas qu'elle soit la seule à s'amuser", déclare l'adjoint de Donald Trump dans une vidéo postée sur le réseau X. Une vidéo dans laquelle il précise qu'il s'enquerra auprès des soldats de la base américaine de la "sécurité dans l'Arctique".

Mike Waltz, le conseiller en sécurité de Donald Trump, et le ministre américain de l'Energie Chris Wright font aussi partie de la délégation… bien que cette visite ait une nouvelle fois été qualifiée de "privée" par la Maison blanche.

Que cherchent les Etats-Unis au Groenland ?

C'est déjà le deuxième voyage américain entrepris sur l'île danoise depuis l'élection de Donald Trump. Le fils du président, Donald Jr., avait passé une journée à Nuuk, la capitale, début janvier. Ce qui avait déjà créé des mécontentements sur place.

Donald Trump s'intéresse de longue date au Groenland. Durant son premier mandat, en 2019, il avait annoncé qu'il comptait acheter le territoire. Les Groenlandais n'avaient pas apprécié.

Depuis sa réélection, le locataire de la Maison blanche a refait part de son intérêt à prendre le contrôle de l'île et de l'annexer aux Etats-Unis, en invoquant des raisons de sécurité. Cette annexion, le Groenland et le Danemark la rejettent.

Après la Seconde guerre mondiale, le président américain Harry S. Truman avait déjà proposé 100 millions de dollars au Danemark pour récupérer le territoire. Proposition refusée.

Groenland Nuuk 2025 | Un navire militaire dans la mer arctique
La fonte des glaces rend de nouvelles routes maritimes praticablesImage : Leonhard Foeger/REUTERS

Un intérêt géostratégique

Le Groenland est la plus grande île du monde. Son emplacement est stratégique. L'Etat de l'Alaska offre déjà une ouverture sur l'Arctique aux Etats-Unis et depuis 1951, le pays dispose d'une base aérienne dans le nord-ouest du Groenland. Cette base joue un rôle majeur dans le dispositif de système d'alerte précoce en cas d'attaque par des missiles intercontinentaux sur les Etats-Unis.

Le magazine autrichien "Militär Aktuell" affirme que plus de 3 000 avions, notamment américains, utilisent chaque année la base de Pituffik. Elle est le point le plus au nord du dispositif de défense américaine et dispose aussi du port en eaux profondes le plus au nord de la planète.

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Le passage maritime nord-est

A ces atouts vient se greffer le changement climatique. Avec le réchauffement de la banquise, et la fonte des glaces, de nouvelles routes maritimes s'ouvrent, qui seront praticables de plus en plus longtemps dans l'année.

Des scientifiques ont calculé que la calotte glaciaire devrait diminuer en été entre 2030 et 2040, de façon à ce que trois nouveaux passages seront accessibles pour les navires qui veulent gagner l'océan atlantique en provenance du Pacifique – avec des trajets bien plus courts que les routes actuelles.

L'un de ces passages prometteurs est appelé "passage maritime nord-est". Il permet de relier l'Europe à l'Asie en 35 jours au lieu de 48 en passant par le Canal de Suez et l'océan indien. La Chine et la Russie l'empruntent déjà pour transporter des matières premières.

Par ailleurs, les Etats-Unis s'intéressent aux terres rares et aux autres matières premières (métaux, diamants, charbon, uranium) que renferme le sous-sol du Groenland. Des matériaux utiles à l'industrie et à la production d'appareils technologiques.

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision NTV, le politologue Thomas Jäger, de l'université de Cologne, cite un autre argument de Donald Trump : "On peut très bien imaginer que Donald Trump veuille s'inscrire dans la tradition des présidents qui ont fortement étendu leur territoire - au XIXe siècle, quand les Etats-Unis se sont développés vers l'ouest, puis ont acheté l'Alaska". Ce serait quelque chose qui, de son point de vue, "ferait de lui un vrai grand président".

Groenland Nuuk 2025 | Manifestation à Nuuk devant le consulat américain
Les Groenlandais refusent le rachat de leur île par les Etats-UnisImage : Christian Klindt Soelbeck/Ritzau Scanpix/AFP

Envie d'indépendance

De nombreux Groenlandais ne veulent toutefois pas se laisser accaparer par les Etats-Unis.

Il y a quelques jours, le Premier ministre sortant Mute Egede avait déjà qualifié la visite de la délégation américaine de "provocation". Le président du parti démocrate, Jens-Frederik Nielsen, a parlé quant à lui de "manque de respect".

Même si le programme de la visite de la délégation américaine a changé, on est toujours irrité par cette visite, a également déclaré le journaliste groenlandais Masaana Egede à la chaîne DR. "Je pense qu'un grand nombre de personnes continuent à la considérer comme une provocation".

Groenland 2025 | Montagnes et maisons en bois rouges sous la neige, à Nuuk
Le Danemark contribue à hauteur d'environ un tiers du budget du GroenlandImage : Leon Neal/Getty Images

Les élections de mars 2025

Les élections législatives du 11 mars ont également été chamboulées par les déclarations du nouveau président américain - elles ont même été avancées pour cette raison. Le parti du Premier ministre Egede et ses partenaires de coalition ont subi des pertes importantes. Le gagnant des élections est le parti de centre-droit Demokraatit.

Le résultat des élections est par ailleurs considéré comme le signe que la majorité des Groenlandais souhaitent aussi l'indépendance vis-à-vis du Danemark.

Depuis 1979, le Groenland est autonome dans de nombreux domaines. Toutefois, c'est toujours l'ancienne puissance coloniale qui décide de sa politique étrangère et de défense. En raison des violations des droits de l'homme commises par le passé contre la population inuite, de nombreux Groenlandais souhaitent se séparer définitivement du Danemark.

Les scientifiques ne sont pas unanimes sur la viabilité économique d'un Groenland indépendant : Chaque année, Copenhague verse à l'île l'équivalent de 550 millions d'euros, soit environ un tiers de son budget.

Malgré ces difficultés, très peu de Groenlandais sont favorables à l'idée de faire partie des Etats-Unis. Selon un sondage réalisé fin janvier par le journal danois Berlingske et le journal groenlandais Sermitsiaq, 85 % des Groenlandais étaient opposés à une reprise de leur île par les Etats-Unis.

La députée groenlandaise au parlement danois, Aaja Chemnitz, a ainsi résumé les critiques en postant sur Facebook : "Il est clair que le camp Trump ne respecte pas notre droit à l'autodétermination sans ingérence extérieure".

Ce vendredi [28.03.25], le nouveau Premier ministre du Groenland, Jens-Frederik Nielsen, a annoncé que le territoire venait de se doter d'un large gouvernement de coalition pour "faire face à la forte pression extérieure".