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"Au Tchad, la justice est utilisée pour régler des comptes"

13 août 2025

Entretien avec l'avocate tchadienne Delphine Djiraïbé après la condamnation de Succès Masra au Tchad.

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L'avocate tchadienne Delphine Djiraibe, également militante des droits de l'Homme, fait partie du collectif d'avocat.e.s de l'opposant Succès Marsa.

Condamné samedi dernier à 20 ans de prison par le tribunal de grande instance de N'Djamena, Succès Masra a été jugé avec d'autres personnes accusées d'être impliquées dans un massacre ethnique survenu mi-mai et ayant causé 42 morts.

La défense plaide non coupable et ses avocats dénoncent un procès vide. Mais au-delà de ce verdict, Maître Delphine Djiraibe regrette une instrumentalisation de la justice à des fins politiques.

Suivez l'interview avec Me Delphine Djiraibé

 

DW : Maître Delphine Djiraibe, est-ce que la condamnation de l'opposant tchadien Succès Masra à 20 ans de prison et à une amende d'un milliard de francs CFA est une manœuvre politique pour faire taire l'opposition politique au Tchad, selon vous ?
Vous le dites si bien, il n’y a aucun fondement juridique qui justifie une telle condamnation, et donc le procès, [et son caractère] politique, a été dénoncé et cela a été confirmé [par le verdict].

 

DW : Les accusations portées contre Succès Masra sont quand même très graves : détention illégale d'armes, incitation à la violence en lien avec un massacre qui a fait plus de de 40 morts.
On s'attendait à ce que l'accusation fasse la preuve de tout ce qui a été reproché à Monsieur Masra mais loin s'en faut. Eux-mêmes, les représentants de l'administration, ont identifié les présumés auteurs de ces massacres et auraient dit que ces personnes-là seraient en cavale actuellement.

Et toutes les personnes qu'on a amenées à N’Djamena n'ont pas l'air des personnes qui ont pu commettre ces actes ignobles que nous déplorons tous.
On ne peut pas utiliser un audio publié avant la date des massacres pour dire que ça produit des effets seulement en 2025 pour un audio qui a été réalisé en 2023.

 

DW : Maître Delphine Djiraibe, vous faites partie du collectif des avocats de Succès Masra.
Vous avez jusqu'à mardi prochain, le 19 août, pour faire appel de la décision de justice. Allez-vous le faire ou pas ?

Toutes les voies de recours disponibles vont être utilisées parce que ce qui s'est passé, c'est tout sauf du droit.
Donc toutes les voies vont être explorées. 

 

DW : Si la condamnation du leader du parti "Les Transformateurs" est définitive, Succès Masra risque d'être inéligible pour les prochaines élections. Va-t-il dans ce cas solliciter une amnistie ?
Nous sommes sereins. Si le droit est dit, Masra sera blanchi de tous ces chefs d’accusation. Malheureusement, nous sommes dans un contexte tchadien où la justice est instrumentalisée et utilisée pour régler des comptes politiques.
Et donc c'est en cela qu'il va falloir se réserver mais nous avons espoir que les juges vont se ressaisir et vont dire le droit pour laver l’opprobre qu'on a jeté sur la justice. 

 

DW : Vous exprimez une réserve, Me Djiraibé, et ayant été Premier ministre de Mahamat Deby, il est possible que Succès Masra ait gardé le contact avec le président tchadien et que c'est sur cette base que l'opposant s'est adressé à ses partisans en leur promettant de revenir bientôt, non ?
Non, c'est signe d'espoir tout simplement, mais je suis pas dans le secret des dieux. À sa place, j'aurais dit pareil parce que je ne vois pas ce qui peut me maintenir en prison si tout ce qu'on me reproche n'est pas fondé.

 

DW : L'organisation Human Rights Watch pointe une intolérance du pouvoir tchadien face aux voix critiques. Et après l'épisode Yaya Dillo, homme politique tué lors d'un assaut de la police à N'Djamena fin février 2024, eEst-ce que vous donnez raison à Human Rights Watch ?
Human Rights Watch a parfaitement raison et c'est ce que les organisations de défense des droits de l'homme tchadiennes déplorent depuis la nuit des temps : cette impunité. Comme le cas Yaya Dillo est resté impuni, un autre cas peut se faire aisément et c'est en cela que toute la communauté des personnes éprises de paix et de justice doivent se mobiliser pour arrêter cette dérive-là et sauver le peuple tchadien.

 

DW : Mais qui peut faire fléchir le pouvoir tchadien parmi les acteurs internationaux ? Est-ce l'Union africaine ? Est-ce la France ? Est-ce les États-Unis ?
On a dénoncé la politique française au Tchad qui soutient les dictateurs au détriment des aspirations légitimes de la population. On fait les frais de la guerre de positionnement de ces grandes puissances-là.

 

DW : Mais dans un contexte où les relations entre N'Djamena et Paris ne sont pas très bonnes, est-ce que vous voyez la France intervenir pour faire libérer Succès Masra ?
La France reste une voix qui peut encore se faire entendre au Tchad. La France devrait d'une manière publique faire connaître sa position.