Divorce au Tchad : qui conserve le domicile conjugal ?
10 mars 2025La Semaine nationale de la femme tchadienne (Senafet) s'est clos sur une polémique, cette année. Le problème posé peut se résumer en une phrase : à qui doit revenir le domicile conjugal en cas de séparation d'un couple ? A l'issue de cette semaine de mobilisation en faveur des droits des femmes au Tchad, une recommandation a en effet été formulée aux autorités : qu'en cas de divorce motivé, le domicile conjugal revienne à la femme et aux enfants.
La comparaison avec le Soudan passe mal
Tout est parti de propos tenus par Abderaman Koulamallah. Lors d'un panel de discussion organisé sur le thème de : "La masculinité positive au Tchad : mythe ou réalité", ce sénateur, ancien ministre, a en effet déclaré que "les hommes du Tchad ne vivent pas dans l'histoire mais dans la préhistoire" et qu'au Soudan, "lorsque l'homme ne veut plus de la femme, c'est lui qui quitte le foyer."
C'est sa suggestion d'instaurer le même principe au Tchad, reprise par la Semaine nationale de la femme tchadienne, qui continue de susciter des remous.
Nasra Djimasngar, député à l'Assemblée nationale tchadienne, explique que c'est la comparaison avec les us et coutumes d'un autre pays qui a choqué.
L'élu reconnaît lui-même avoir "sursauté" en entendant cette idée. Il dit comprendre les craintes de demandes de "divorces en cascade pour profiter du domicile conjugal", si une telle loi était adoptée.
La Tchadienne Doris Deoumoundou, assistante de direction actuellement au chômage, estime elle aussi que cette proposition "ne ressemble pas" aux Tchadiens, qu'elle ne correspond pas à leur culture dans laquelle la femme se doit d'être "soumise". D'après elle, si cette proposition est traduite dans la législation, les jeunes gens hésiteront davantage à se marier.
Un droit coutumier inégalitaire
Le député Nasra Djimasngar explique que le droit coutumier, reconnu lui aussi par la Constitution, n'accorde pas les mêmes droits aux femmes qu'aux hommes.
"Dans les sociétés tchadiennes traditionnelles, le traitement réservé à la femme de manière générale est un traitement d'infériorité. Dans nos cultures, on considère la femme comme inférieure à l'homme", résume le député.
Selon lui, "l'inquiétude est au niveau familial. C'est le conseil de famille qui a tendance à exclure la femme au moment de l'héritage, ou lorsqu'il y a divorce. Même les parents de la femme s'accordent à dire que la maison appartient à l'homme donc qu'il n'y a pas de raison de faire des réclamations, etc. Donc on a tendance à opérer une pression sociale sur la femme."
Les religions et leur discours
Selon lui, les religions commencent à changer de discours. Dans le christianisme, affirme-t-il, on prêche désormais que Dieu a créé l'homme et la femme de la même manière et qu'ils ont donc droit au même salut.
"Mais dans le couple, comme c'est une organisation sociale, la famille, il doit y avoir une hiérarchie, ajoute-t-il. Et l'homme est considéré comme le chef de famille. C'est enseigné dans les religions que la femme doit respecter l'homme."
Inégalités au sein de la famille
Au sein de la famille, les droits des petites filles ne sont toujours pas les mêmes que ceux de leurs frères. Dans la pratique, raconte Nasra Djimasngar, "s'il y a un effort à faire, c'est dans le domaine de l'éducation, de base ou scolaire".
L'élu brosse ce tableau de la situation : "Au niveau des familles, lorsqu'il y a une fille et un garçon issus des mêmes parents, le garçon bénéficie d'un traitement particulier. S'il faut inscrire l'un des deux à l'école, le choix est clair : c'est le garçon qu'on va inscrire, au détriment de la fille.
Et si on inscrit les deux, à leur retour de l'école, le garçon a plus de temps pour étudier ou aller jouer. La fille doit se réveiller à 4h du matin pour balayer la cour, apprêter le petit-déjeuner et se laver avant d'aller à l'école avec le garçon. De retour, la fille doit passer directement à la cuisine, faire la vaisselle. Le soir, apprêter le dîner et elle va au lit un peu plus tard. Ça, ce sont des difficultés pratiques et réelles qu'il faut faire évoluer."
Ces discriminations continuent jusqu'à l'âge adulte. Le député rappelle que dans les milieux ruraux, par exemple, l'homme et la femme vont aux champs ensemble, mais qu'une fois rentrés, alors que l'homme se repose et boit son thé, son épouse "doit encore aller chercher de l'eau pour son mari ou des fagots".
Doris Deoumoundou estime qu'il faudrait donc davantage aider les femmes tchadiennes à se développer économiquement, à avoir les moyens de construire leurs propres maisons, par exemple en baissant le coût des matériaux de construction comme le ciment.
30-70% ou 50-50% ?
Nasra Djimasngar rappelle que le Code civil tchadien – qui reprend le Code civil français dans sa version de 1958 – reconnaît déjà plusieurs motifs de divorces : "Si le juge prononce le divorce au seul tort de l'homme, le plus souvent, la femme a des réclamations, que ce soit sur la maison, le compte bancaire familial ou tout ce qui touche les biens de la famille, la femme a des réclamations."
Quant à la loi sur la parité, elle est insuffisante en l'état, selon Nasara Djimasngar, car elle n'instaure qu'un quota de 30% de femmes députées, par exemple.
"Si on parle d'égalité, c'est 50-50. Mais une égalité à 30 contre 70, c'est qu'il y a encore un effort considérable à faire, juge le député. Aujourd'hui, beaucoup de femmes font beaucoup d'efforts avec beaucoup de qualités, beaucoup de capacités, beaucoup de niveau et de diplômes qui devraient être pris en compte dans les nominations à de hautes fonctions. Mais comme il y a cette loi qui ne prévoit que 30% de places aux femmes, les décideurs se limitent à ce taux et des fois, ils en font même moins."
Abderaman Koulamallah, qui a lancé sans le vouloir la polémique, précise de son côté qu'il ne s'agissait pas dans son esprit de "spolier" ni d'exproprier les maris qui divorcent , mais plutôt "d'un principe de protection : empêcher que des femmes divorcées se retrouvent à la rue avec leurs enfants".