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EconomieAfrique

L’Afrique en marche vers sa souveraineté numérique

Rodrigue Guézodjè
24 juillet 2025

Alors que l’Afrique du Sud assure cette année – pour la première fois de son histoire – la présidence du G20, une occasion unique s’offre au continent pour faire entendre une voix forte sur un sujet devenu vital : la souveraineté numérique. // Face à la dégradation des sols et au changement climatique, de jeunes sénégalais innovent pour une agriculture plus écologique et durable.

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Si l’Afrique veut compter dans la gouvernance mondiale du XXIe siècle, elle ne peut plus se contenter d’être une simple consommatrice de technologies conçues ailleurs. Elle doit devenir productrice, gestionnaire et détentrice de ses données, de ses infrastructures et de ses plateformes numériques. En clair, elle doit reprendre le contrôle de son avenir digital.

Et dans cette dynamique, un concept émerge avec force : celui des Infrastructures Publiques Numériques (IPN). Pensées comme des biens communs ouverts, interopérables et ancrés dans les réalités africaines, les IPN représentent un levier stratégique d’indépendance, de compétitivité et d’inclusion.

La souveraineté numérique, un impératif stratégique

Pour Irène Kieru, spécialiste des paiements numériques à l’Alliance Better Than Cash, une initiative internationale hébergée par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD la souveraineté numérique est bien plus qu’une option technologique. C’est un impératif géopolitique et économique majeur : « Elle touche à des domaines vitaux comme les paiements, l’identité, les données, qui conditionnent l’accès à la santé, à l’éducation, à la protection sociale. Aujourd’hui, quand nous ne maîtrisons ni nos données ni nos systèmes, ce sont des acteurs étrangers qui influencent nos décisions souveraines. »

Cette dépendance se paie cher : des solutions coûteuses, souvent inadaptées et peu pérennes, importées sans véritable appropriation locale. Pour renverser cette logique, elle appelle à une vision africaine du numérique, humaine, inclusive et résolument souveraine.

Construire une feuille de route souveraine

Irène Kieru plaide pour des feuilles de route numériques souveraines, bâties sur cinq piliers essentiels :

  1. Former massivement les talents dans des domaines stratégiques : IA, cybersécurité, cloud, analyse de données…
  2. Maîtriser les données, avec des solutions de stockage souveraines et des lois claires sur leur traitement local.
  3. Utiliser des technologies ouvertes, comme les logiciels libres et les standards interopérables, pour renforcer l’innovation locale.
  4. Mettre en place une régulation stratégique, notamment sur les plateformes étrangères, la fiscalité numérique, et la protection des utilisateurs.
  5. Ancrer les technologies dans les besoins locaux – agriculture, santé, éducation, inclusion financière – avec une gouvernance participative dès la conception.

« Une feuille de route souveraine, c’est une stratégie durable, locale, inclusive et centrée sur l’intérêt public », résume-t-elle.

Des modèles africains inspirants

Plusieurs pays africains montrent que l’innovation numérique souveraine est possible, même avec des ressources limitées.

Le Kenya, avec sa plateforme e-Citizen, a pensé l’interopérabilité dès le départ. Le Ghana, avec la Ghana Card, permet l’accès aux services publics même sans smartphone. L’Afrique du Sud, quant à elle, intègre des publics traditionnellement exclus dans la co-construction de ses plateformes. « Ces pays placent la confiance des citoyens et l’accès équitable au cœur de leur stratégie. Le numérique y est traité comme un bien public. Le message est clair : avec de la volonté politique et de la vision, tout est possible. », estime Irène Kieru.

Des infrastructures numériques inclusives et protectrices

Mais comment garantir que ces infrastructures ne reproduisent pas les exclusions sociales ? Irène Kieru insiste sur la protection des droits fondamentaux et le respect des principes universels :

  • Des lois fortes sur la vie privée ;
  • Des interfaces accessibles, même sans Internet ;
  • L’implication des citoyens dès la phase de conception ;
  • Une éducation numérique pour tous, indispensable pour la maîtrise des outils et des droits.

« Un système numérique digne de confiance est un système ouvert, sécurisé, responsable et participatif », affirme-t-elle.

Le rôle crucial des États et de l’Union africaine

À l’échelle continentale, l’Union africaine doit jouer un rôle de coordination et d’intégration : « Elle doit harmoniser les politiques numériques, promouvoir les IPN comme des biens communs régionaux, et garantir leur interopérabilité. »

De leur côté, les États africains sont appelés à aligner leurs stratégies numériques sur leurs priorités nationales tout en collaborant au niveau régional. Car l’avenir du continent passe par une unité numérique forte. « Le numérique doit permettre à un producteur de cacao au Ghana de vendre facilement à un client au Kenya. C’est ainsi que nous passerons de la dépendance à l’innovation, de l’isolement à la coopération, de la fragmentation à une Afrique numérique unie. », pense Irène Kieru.

La souveraineté numérique n’est plus une affaire d’experts ou de techniciens. Elle est désormais une cause continentale qui touche à notre autodétermination, à notre compétitivité, et à notre rôle dans le monde. À l’heure où l’Afrique prend la parole au G20, elle doit aussi prendre le contrôle de son futur digital.

Le temps n’est plus à l’adaptation passive. Il est à l’action structurée, à la confiance dans nos talents, et à la construction collective d’un avenir numérique africain, par et pour les Africains.

[Cliquez sur l’image pour écouter l’intégralité de l’interview d’Irène Kieru]

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Dans un contexte marqué par la dégradation des sols, la précarité climatique et la nécessité de repenser nos pratiques agricoles, de jeunes entrepreneurs sénégalais font preuve d’ingéniosité et d’engagement en faveur d’une agriculture plus écologique et soutenable. Parmi eux, la start-up Cactus Innovation et Eco From Africa incarnent cette dynamique, en proposant des solutions concrètes pour répondre aux défis locaux tout en s’inscrivant dans une transition agricole responsable.

Des jeunes étudiants et entrepreneurs au cœur du changement

Ibrahim Diango Diaby, étudiant malien en première année de Master en développement agricole et rural à l’Institut Supérieur de Formation Agricole et Rurale (ISFAR) de Bambey, passe ses pauses dans les champs de Cactus Innovation, une jeune start-up portée par l’ingénieur agronome El Hadji Malick Sagne. Lui-même lauréat du Prix Orange de l’Entrepreneuriat Social en Afrique et au Moyen-Orient (POESAM) 2023, Sagne met en pratique ses convictions : valoriser les terres salinisées du Sénégal en utilisant le cactus, une plante résistante à la sécheresse.

Le cactus, une solution innovante et multifonctionnelle

Selon Ibrahim Diango Diaby, le cactus est utilisé ici pour diverses applications : « on fait la culture contre saison, en utilisant cette plante riche en NPK pour fertiliser, produire du biogaz, ou même fabriquer des marmelades, huiles et savons. ». La plante devient ainsi une véritable alliée face aux enjeux environnementaux, en particulier le changement climatique et la raréfaction des ressources énergétiques.

El Hadji Malick Sagne explique que l’adoption de cette plante n’est pas fortuite : « Le cactus constitue une stratégie d’adaptation. En produisant du biogaz à partir de cette plante, nous proposons une alternative écologique pour la production d’énergie, tout en renforçant l’économie locale. ». Grâce au soutien du prix POESAM, la start-up a pu structurer son projet, tester ses prototypes, et commencer la commercialisation de ses produits.

Une plateforme d’apprentissage et d’inspiration

Au sein de l’ISFAR, El Hadji Malick Sagne est aussi un mentor pour ses étudiants, notamment Ibrahim Diango Diaby, qui témoigne : « Il m’a montré comment utiliser le cactus comme des haies contre les animaux, comme engrais ou encore pour produire du biogaz. Cette plante présente de nombreux avantages pour les agronomes. »

D’autres acteurs engagés pour une agriculture écologique

Une autre start-up notable est Eco From Africa, cofondée par l’ingénieur agronome Clément Sambou. Elle prône la création d’engrais naturels à partir de compost et la rotation des cultures, dans une optique de réduction de l’utilisation d’engrais chimiques et de préservation des sols.

Cependant, ces micro-entreprises font face à plusieurs défis : invasions d’insectes, feux de brousse, pénurie de main-d’œuvre et surtout, manque de financements. Selon Adama Faye, responsable du POESAM, le soutien financier et technique doit continuer pour accompagner ces jeunes porteurs de projets : « Nous offrons un accompagnement durable, qui ne s’arrête pas après l’attribution du prix. »

Un réseau pour une transition écologique locale

La majorité de ces start-ups agroécologiques, dont Cactus Innovation, sont membres de la Dynamique pour une Transition Agro-Écologique Locale (DyTAEL). Ce réseau fédère divers acteurs autour d’un objectif commun : construire une agriculture résiliente, inclusive et respectueuse de l’environnement.

[Cliquez sur l’image pour écouter le reportage de Robert Adé, correspondant de la DW à Dakar]

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Image : Ute Grabowsky/photothek.net/picture alliance

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