Le Sénégal veut écarter les médias "fantômes"
23 mai 2025Les relations entre les médias sénégalais et l'Etat se sont dégradées depuis quelques mois. Les organes de presse dénoncent une trop forte pression fiscale et le gel des contrats publicitaires avec les entreprises publiques. Par ailleurs, environ 400 médias se sont vu retirer leur autorisation de publication ou de diffusion.
En réponse, le directeur de la communication au ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, Habibou Dia, explique l'importance des réformes en cours pour les acteurs des médias, afin d'écarter des médias qu'il qualifie de "fantômes" qui profitaient, selon lui, de subventions indues.
Voici son interview réalisée par Robert Adé à Dakar :
Habibou Dia : Deux éléments marquants ont justifié (les réformes). C'est d'abord la volonté affichée de l'administration d'accompagner les acteurs des médias qui ont remis des conclusions à l'issue de leurs assises, demandant des réformes dans le secteur. Le deuxième point sur lequel il y a des éléments d'amélioration à noter, c'est sur la viabilité des entreprises. Aujourd'hui, il y a une série de réformes pour augmenter l'enveloppe d'appui aux entreprises. Mais on veut rendre l'appui plus structurant et ne pas juste donner des subventions et que les entreprises disparaissent avec les subventions. Il faut que cet appui aille vers des leviers de management qui permettent de catalyser la viabilité. Enfin, il y a la création d'une ligne additionnelle dédiée spécifiquement à la création convenue pour l'audiovisuel. Donc, oui, il y a eu beaucoup d'efforts en une année. Et d'ailleurs, en une année, c'est la première fois que nous sortons un rapport sur la situation des médias, et que l'Etat du Sénégal a une cartographie des médias. Cela n'existait pas.
DW : Le classement RSF 2025 intervient à un moment où la presse sénégalaise se dit très mal en point. Comment expliquez-vous cette relation tendue et conflictuelle entre la presse nationale et son ministère de tutelle ?
Habibou Dia : De notre point de vue, on ne considère pas qu'il y a des tensions. Dans toutes réformes, dans tout processus de changement, il peut y avoir de l'incompréhension, voire de la résistance. Ce qu'il faut surtout comprendre, c'est que la visée et la portée de la réforme que nous sommes en train d'apporter, pour apporter un bénéfice exclusif aux vraies entreprises de presse, c'est de pouvoir distinguer l'ensemble des entreprises qui étaient dans l'écosystème, qui bénéficiaient des enveloppes que l'Etat octroyait et qui, en réalité, n'en étaient pas. On a le cas de fréquences radio attribuées à des radios qui n'ont jamais émis ou qui n'émettent plus. On a le cas de sites web déclarés, de site web qui ne fonctionnent pas ou qui n'emploient personne. Ce sont des médias fantômes. Et aujourd'hui, si vous regardez la cartographie qu'on a publiée, on est passé de 535 demandeurs d'appui à la presse à environ 230. Cela veut dire que près de la moitié était dans l'écosystème et profitait de façon indue à des deniers destinés aux entreprises et aux journalistes. Naturellement, si vous venez et voulez mettre fin à ce système opaque, il peut y avoir de la résistance.
DW : L'année 2024-2025 est toujours marquée par de nombreuses restrictions : intensification des contrôles fiscaux, suspension de conventions publicitaires avec les institutions publiques, convocation de journalistes et de chroniqueurs. Toutes ces pressions ne sont-elles pas suicidaires pour des entreprises de presse déjà asphyxiées économiquement ?
Habibou Dia : Il n'y a ni asphyxie, ni restrictions. Le 3 mai, nous avons débloqué pour la première fois dans l'histoire des relations de l'Etat et des médias au Sénégal une enveloppe allouée à la viabilité des entreprises d'approximativement 400 millions destinés à un premier lot de 12 bénéficiaires. Un projet pilote. Naturellement, il y plus d'entreprises. Et la deuxième phase a été déjà ouverte par nos collaborateurs de la Direction des Petites et Moyennes Entreprises (DPME) qui ont une expertise poussée sur la viabilité. Si ce projet pilote fonctionne, les experts de la DPME devraient rejoindre le conseil de gestion de la plus grande enveloppe financière destinée à la presse au Sénégal qui est le Fonds d'Appui pour le Développement de la Presse. Il n'y a pas de restriction non plus parce qu'on était habitué ces dernières années à beaucoup de léthargie dans beaucoup de secteurs. Le recouvrement de l'impôt ne se faisait pas convenablement, les cotisations sociales au profit des travailleurs ne se faisaient pas, certaines entreprises ne reversaient pas la TVA qu'elles collectaient. Mais, ce que nous leur disons et ce que nous sommes en train de faire, lorsqu'on constate qu'un modèle n'est pas performant, est qu'il faut accepter de prendre le temps de l'améliorer, de le réformer.
DW : La semaine dernière, le président Bassirou Diomaye Faye a instruit le gouvernement à accentuer les concertations avec les différents acteurs du secteur de la presse. Aujourd'hui, où en êtes-vous ?
Habibou Dia : Il y a tout un cadre légal que nous sommes en train de revoir. Nous avons stabilisé la loi sur le code de la publicité, nous avons stabilisé la loi sur la future autorité de régulation qui aura plus de pouvoir et plus de moyens, qui va avoir compétence pour tout type de média ; pas uniquement l'audiovisuel, qui est son champ de compétence actuel, mais qui va avoir compétence sur la presse écrite, la presse en ligne et même les médias sociaux pour ceux qui les utilisent. Les ressources financières seront augmentées et il est important pour nous de poursuivre les travaux techniques avec les acteurs des médias sur ce point. Dans les prochaines semaines nous aurons de larges concertations sur ce que doivent être les cahiers des charges entre les médias et la future autorité de régulation.