Au Sénégal, les journalistes sportives face au sexisme
12 août 2025Les femmes journalistes sénégalaises s'imposent peu à peu dans l'univers de la lutte avec frappe, le sport le plus populaire au Sénégal. Un milieu profondément enraciné dans les traditions, et souvent peu accueillant à leur égard. Entre agressions verbales, violences sexuelles et menaces, ces professionnelles affrontent de nombreux obstacles pour exercer leur métier dans cet environnement hostile.
"Nous sommes confrontées a des agressions physiques, verbales, parfois sexuelles", raconte Khady Faye est l'une des rares femmes journalistes à couvrir la lutte sénégalaise. Ce sport traditionnel, très masculinisé et empreint de mysticisme, voit d'un mauvais œil l’arrivée des femmes dans ce milieu.
Harcèlements et agressions physiques
Bercée dans l'univers de la lutte depuis son enfance, la trentenaire a choisi de se spécialiser dans ce domaine après l'obtention de son diplôme de journalisme. Mais sa passion s'est vite transformée en cauchemar.
"C'est à cause de ces incidents que je n'assiste plus aux Open Presse, raconte-t-elle. Quand on dit Open Presse, normalement, cela concerne les lutteurs et la presse. Mais ils en profitent pour faire une démonstration de force. Parfois, quand tu y vas, il y a les accompagnateurs des lutteurs qui touchent tout ton corps, que ce soit les seins ou les fesses. Il m'est arrivé de rentrer chez moi et de pleurer parce qu'ils avaient touché mon corps. C'est comme si on me violait. Ils n'ont pas le droit de toucher à mon corps''.
Ndeye Coumba Faye, journaliste à Lutte TV, est parfois confrontée aux mêmes problèmes. Elle se souvient qu'"au lendemain de la victoire de Balla Gaye sur Yékini, j'étais l'envoyée spéciale de ma rédaction pour recueillir les premiers mots de Balla Gaye chez lui à Guédiawaye. Arrivée sur place, il y avait un monde fou. Donc, à la descente de la voiture, ils avaient cassé les lampadaires. Par amour pour mon métier, je me suis jetée dans la foule, car il fallait passer par là pour pouvoir entrer dans la maison de Balla Gaye. Il y a eu trois ou quatre hommes qui se sont jetés sur moi. Ils ont pratiquement tiré mon pantalon. Heureusement, il y avait deux coéquipiers de Balla Gaye qui m'avaient reconnue et qui leur ont dit : "Laissez-la, c'est une journaliste''.
Une couverture médiatique limitée pour les femmes
Tout comme leurs collègues hommes, les femmes sont autorisées à couvrir les combats de lutte.
Cependant, le véritable défi pour ces femmes journalistes est l'accès aux vestiaires des lutteurs. Des espaces traditionnellement interdits aux femmes.
"Il y a des trucs mystiques que les lutteurs amènent aux stades, explique Khady Faye. Les femmes ne doivent pas les voir ni même être près de ça. Dès que tu essaies de t'approcher, les lutteurs te brutalisent. On nous met dans la tête que si tu regardes ça, tu ne pourras plus enfanter, tu ne pourras plus avoir de mari, parce que c'est dangereux. Ça me fait flipper. Moi, à un moment donné, je me disais : "Est-ce que j'en aurai ?” Parfois, on recevait des menaces mystiques quand on dérangeait un lutteur. Mais, par la grâce de Dieu, j'ai pu me marier et avoir des enfants''.
Modernité et professionnalisme
Malgré les nombreux risques auxquels elles sont confrontées, l'arrivée des femmes journalistes a apporté une touche moderne et plus professionnelle, estime Bécaye Mbaye, spécialiste de la lutte avec frappe sénégalaise.
Selon lui, "la lutte, avant, était couverte par les communicateurs traditionnels. C'est vrai que ce sont des journalistes, mais des journalistes traditionnels, alors qu'il y a des journalistes femmes qui sont sorties des grandes écoles et qui ont pratiqué le journalisme sportif. Elles ont apporté beaucoup de choses à la lutte, par rapport aux lutteurs, par rapport à leurs familles et à leur façon de pratiquer la lutte. Si vous regardez bien, il y a beaucoup de médias qui ont embauché des femmes, parce qu'elles apportent non seulement la touche professionnelle, mais aussi elles connaissent les lutteurs et la tradition sénégalaise''.
Malgré les menaces et les agressions, Ndèye Coumba et ses consœurs se battent pour se faire respecter dans le milieu de la lutte avec frappe sénégalaise, un univers souvent hostile à la présence des femmes.