En Afrique, le désir de souveraineté grandit
7 août 2025L'année 2025 marque les 65 ans de l'indépendance de nombreux pays d'Afrique francophone : le Bénin, le Niger (3 Août) , le Burkina Faso (5 Août), le Mali (22 Septembre) ... Dans ces pays, plus qu'ailleurs sur le continent, se pose avec acuité la question de leur souveraineté. Mais qu'est-ce qu'on entend au juste par "souveraineté" et quelle perception en a-t-on dans le Sahel, dans un pays comme le Mali, par exemple ?
Prendre des décisions sans ingérence extérieure
"La souveraineté ne se décrète pas, elle se construit, se défend, elle s'assume." Ces propos ont été tenus par le président tchadien Mahamat Idriss Déby lors d'un déplacement à Niamey, au Niger. Depuis quelque temps maintenant, le terme de "souveraineté" des Etats africains revient de plus en plus dans les propos et les discours, tant des dirigeants que des populations.
Dans une vidéo de l'International Crisis Group publiée le 18 juillet 2025 sur les réseaux sociaux, Comfort Ero, analyste et responsable du groupe de réflexion, est revenu spécifiquement sur le cas du Mali et la perception de la souveraineté aussi bien du côté des militaires au pouvoir que de celui de la population.
Dans les rues de Bamako, quand on demande aux habitants ce que leur inspire ce concept, les points de vues sont plutôt variés.
"Nous ne sommes pas souverains monétairement. Bon actuellement, comme selon les autorités, aucune ingérence n'est faite à l'État, donc si on s'en tient à ce qu'ils disent, on dit que oui... mais pas totalement", estime un Bamakois.
"Alors la souveraineté tout d'abord c'est la capacité à prendre des décisions sans ingérence extérieure", explique une habitante de la capitale malienne qui estime toutefois que le Mali n'est pas encore vraiment souverain.
Pour un autre Bamakois, "il y a certaines décisions prises aujourd'hui par nos autorités sans consulter d'autres puissances extérieures, donc je pense qu'on peut quand même essayer de parler de souveraineté".
Egalement interrogé, un autre précise d'abord qu'il y a "la souveraineté politique, il y a la souveraineté économique". Selon lui, "s'il faut remplir tous ces critères-là pour être souverain, le Mali est en voie d'être souverain, il aspire à être souverain".
Toujours selon cette même personne, "il n'y a que vraiment les superpuissances qui peuvent être considérées comme des pays souverains".
En prenant le pouvoir par la force dans les pays de ce qui constitue désormais l'AES, les autorités ont initié un tournant souverainiste qui a, depuis, un impact sur la politique intérieure et les relations extérieures des Etats qu'ils dirigent désormais.
Le contexte historique et la part de responsabilité des dirigeants africains
Ibrahim Bana, du front Patriotique pour la souveraineté au Niger, rappelle le contexte historique de la colonisation qui a entraîné une perte identitaire des populations, mais pas seulement :
" Pendant une centaine d'années, nos pays ont été exploités sur le plan de leurs ressources naturelles. En 1960, à la faveur d'une décrispation mondiale, elle-même consécutive à la fin de la Seconde guerre mondiale, il y a eu un vent d'octroi d'indépendance formelle à certains de ces pays. Donc pour nous, la souveraineté, c'est avoir le contrôle sur ses ressources. Ensuite décider par soi-même, choisir une politique publique sans subir d'injonction de la part d'un autre pays...", explique Ibrahim Bana.
Selon l'universitaire Alfred Tumba Shango Lokoho, il ne faut toutefois pas occulter la part de responsabilité des dirigeants africains actuels si la plupart des pays africains peinent à accéder à une réelle souveraineté tant sur le plan économique que politique.
"Si l'on dit que c'est le peuple qui est souverain primaire, qui est le fondement de la démocratie, c'est lui qui doit bénéficier en réalité du retour des dividendes du sous-sol de nos pays. Or il arrive aussi que les dirigeants s'accaparent ces dividendes et ne les redistribuent pas dans les programmes de développement, d'où la dépendance dans laquelle nous nous trouvons actuellement et cette dépendance réduit notre capacité à être maîtres chez nous, donc à être souverain", déplore l'universitaire.
Ces dernières années, au nom de la souveraineté, plusieurs pays sur le continent se sont éloignés de partenaires de longue date comme la France pour se rapprocher, pour certains, d'autres puissances étrangères comme la Chine ou la Russie.
Cette dernière occupe de plus en plus le terrain sur le plan sécuritaire mais tenterait aussi d'influencer l'opinion à travers notamment l'agence de presse "African Initiative". Pour Ibrahim Bana, quel que soit le partenaire, le principe de la souveraineté s'applique. Il ne s'agit pas selon lui de "changer de maître".