Lundi 27 janvier 2025, le mouvement rebelle du M23, appuyé par le Rwanda, a revendiqué la prise de Goma, capitale de la province congolaise du Nord-Kivu.
Le chercheur Christoph Vogel, spécialiste de la RDC, revient sur la situation et les possibilités de sortie de crise.
Cet entretien a été réalisé durant l'après-midi du lundi 27 janvier 2025.
Suivez l'interview avec Christoph Vogel
DW : Est-ce que, selon vous, le M23 a profité d’un moment favorable pour entrer dans Goma, dans le Nord-Kivu?
Ce qui parle pour cette hypothèse du moment favorable, c'est évidemment d'un côté le contexte politique international, avec notamment des éléments comme le changement de gouvernement aux Etats Unis et aussi un contexte plus global où l'attention pour la crise à l'Est du Congo est quand même assez faible au niveau international vu ce qui se passe à travers le monde.
En même temps, il y a des négociations, des pourparlers facilités par l'Angola, à Luanda, qui qui se sont arrêtés pour l'instant mi-décembre. Il y a eu quand même une percée du M23 suite à cet arrêt temporaire des pourparlers de Luanda qui ont mené au fait que la ville de Goma, qui était déjà plus ou moins encerclée avant, a fini par être entièrement encerclée.
Tout cela peut, évidemment, figurer parmi les facteurs qui ont motivé le M23 de décider de tenter une prise de Goma maintenant.
DW : Et pour les Gomatraciens et Gomatraciennes, si cette prise de Goma est avérée par le M23, qu'est ce qui va changer dans leur vie quotidienne ?
Dans l'immédiat, c'est surtout les combats qui ont lieu, qui ont fortement augmenté l’insécurité des populations. Là, on parle de combats qui se déroulent dans plusieurs parties de la ville, y compris au centre-ville et autour de l'aéroport mais aussi dans d'autres quartiers.
On peut aussi parler d'une accentuation de la situation humanitaire. L’approvisionnement en nourriture qui était déjà largement perturbé depuis beaucoup de mois va être encore plus compliqué.
On a aussi des coupures de plusieurs lignes électriques qui alimentent la ville et on a des coupures d'eau de plus en plus fréquentes.
Et aussi de fait, depuis quelques heures ce lundi matin aussi, une fermeture au moins temporaire de la frontière avec le Rwanda mais aussi du trafic lacustre sur le lac Kivu.
DW : Qu'est ce qui peut aider à sortir de cette situation ? Est-ce que vous pensez que des pourparlers sont encore possibles ? [Le président du Kenya] William Ruto [facilitateur dans cette crise entre la RDC et le Rwanda] a convoqué une réunion de crise mercredi à Nairobi. Il n'est pas encore certain que Paul Kagamé et/ou Felix Tshisekedi y participent.
Est-ce que cela peut être une plateforme pour sortir de ces violences ?
Tout cela dépend évidemment de la volonté des deux États, des deux présidents de se rencontrer, de se parler.
Il y a évidemment aussi la question des pourparlers au niveau de Luanda, où l'Angola facilite au nom de l'Union africaine depuis un certain temps.
Siles pourparlers reprennent à ce niveau-là ou encore dans d'autres configurations.
Il y a évidemment aussi la question des autres acteurs, comme le M23 qui réclame l’ouverture de pourparlers directs avec le gouvernement congolais, peuvent avoir du succès à pousser le gouvernement congolais et surtout aussi la réaction du gouvernement congolais face à une réalité qui change du point de vue du M23 ainsi que de ses soutiens.
On peut certainement aussi voir cette tentative de prendre Goma comme une stratégie dans le cas de reprise de négociations, que ce soit entre États, que ce soit entre d'autres parties, afin de se placer en position de force.
DW : Les autorités congolaises ne sont-elles pas justement en position de faiblesse actuellement ? Apparemment, le nouveau gouverneur militaire a fui Goma aussi. Et tout ce qu'on a entendu du porte-parole du gouvernement, pour l'instant, c'est surtout un appel à garder son calme, à ne pas paniquer. Et puis un ton assez belliciste ces derniers jours, y compris envers le Rwanda. Est-ce que les autorités congolaises sont en mesure de reprendre le dessus ?
Cela ne dépend peut-être pas entièrement des autorités congolaises, ni non plus d'ailleurs du Rwanda ou encore du M23, mais surtout des réactions internationales dans le sens le plus large.
Avant tout la région : l'Union Africaine et évidemment aussi des parties prenantes internationales . Il faut donc observer justement les réactions politiques et diplomatiques qu'on va avoir.
La réunion d'urgence de hier du Conseil de sécurité [dimanche soir] a donné un peu un avant-goût sur certains positionnements mais la réalité [du terrain] a très rapidement changé depuis.
Il faudra certainement attendre les réactions aussi d'autres Etats. Pour l'instant, on a par exemple une prise de position assez rapide déjà de la Belgique.
Mais en même temps, il y a un Conseil des affaires étrangères de l'Union européenne qui est en cours à l’heure où nous parlons, et il y aura certainement de la partie européenne aussi de certaines prises de position à la suite de ces réunions-là.
Et c'est cela qui va un peu, qui va un peu dresser le décor ou l'arène dans laquelle ensuite le Rwanda, la RDC, d'autres acteurs vont éventuellement recalibrer leurs positions.
DW : quels sont les leviers dont dispose l'Union européenne ou les Etats individuellement pour faire pression soit sur la RDC, soit sur le Rwanda ? Ça passe par l'aide humanitaire ?
Ça serait évidemment très, très mauvais si ça se passe par l'aide humanitaire, parce que l'aide humanitaire n'est normalement pas du tout censée être utilisée comme un levier politique.
Surtout avec la situation très précaire côté humanitaire dans Goma mais aussi autour de Goma, le plus important serait que non seulement les parties au conflit, mais aussi les acteurs internationaux, les donateurs, les bailleurs séparent les efforts pour acheminer de l'aide humanitaire nécessaire et [les autres types de] pression.
Mais par contre, il est possible d’opérer par ailleurs des pressions politiques, des pressions économiques. Il y a des leviers éventuellement qui peuvent être utilisés.
Ce que l'on observe les derniers mois, et aussi jusque hier au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies, c'est que la pression s'exerce pour l'instant essentiellement dans la rhétorique et pas encore dans des actes politiques, qu'on parle du Rwanda, qu'on parle de la RDC ou en général.
Deuxièmement aussi, évidemment, il est connu que, à la fois le M23 mais aussi d'autres entités non-étatiques comme par exemple les rebelles rwandais FDLR qui ont soutenu l'armée congolaise de l'autre côté, sont tous déjà des entités qui sont sous sanctions internationales à la fois de l'Union Européenne, des Etats-Unis et des Nations unies. Mais [ces sanctions] peinent à avoir un impact décisif sur le comportement de ces acteurs.
DW : Selon vous, comment changer cela ? Est-il possible de faire plier des groupes armés par la négociation ?
En théorie, cela est possible, mais tout dépend un peu de la configuration du rapport de force et de la possibilité d’engager des conversations assez directes avec les acteurs concernés, donc là on est vraiment dans une situation où une des pressions externes qui, à mon sens, devraient commencer évidemment d'abord par la région et par le continent, et peut-être ensuite par le concert des nations plus international.
Mais cela dépend évidemment des choix qui seront faits dans les différentes capitales qui se penchent sur le dossier et avec surtout la situation très dynamique et très volatile dans Goma et autour de Goma.
On a plutôt l'impression, dans les derniers 24 h, que très peu d'acteurs sont prêts, vu la volatilité, de déjà se positionner très clairement face à la réalité opérationnelle qui est en train de changer.