En République démocratique du Congo, depuis la fin du mois de janvier, Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu est tombée entre les mains du M23. Quelques semaines plus tard, c'est Bukavu dans le Sud-Kivu, qui tombait à son tour. Selon les autorités congolaises, au moins 8.500 personnes ont été tuées depuis le début des combats au mois de janvier.
Le M23 poursuit son avancée dans l'Est de la RDC et les combats ont contraint des milliers de personnes à fuir leurs habitations. Face à ce tableau, la question du rôle et de l'efficacité de l'armée congolaise appuyé par les miliciens Wazalendo reste au cœur des débats.
Avec notre invité cette semaine, nous abordons sans détour le sujet. Alain De Neve est analyste de défense au sein de l'Institut Royal supérieur de défense à Bruxelles en Belgique.
Ecoutez ci-dessus l'entretien avec Alain De Neve
DW : Depuis la fin du mois de janvier, le M23/AFC s'est emparé de Goma, dans l'est de la République démocratique du Congo. Il s’est emparé aussi de Bukavu. On a l'impression que l'armée congolaise n'a pas réussi à contenir la menace.
Oui, c'est une armée effectivement qui manque cruellement de ressources. C'est aussi un problème qui est lié à la situation géopolitique.
On parle quand même de territoires qui sont assez considérables et sur lesquels effectivement l'établissement d'un contrôle - et notamment d'un contrôle militaire - n’est pas toujours possible, ou en tout cas est très difficilement dirigé par la capitale.
Donc un groupe comme le M23 profite finalement de cette sorte de vide pour pouvoir opérer.
DW : Sur le terrain, même les forces gouvernementales congolaises ne font pas preuve d'un énorme zèle dans la lutte contre le M23. Comment est-ce que vous expliquez que rien n'ait jamais été fait au sein même de cette armée ?
Pour arriver à la rendre beaucoup plus efficace, des choses ont été faites. Il y a des programmes qui ont été mis en place pour aider effectivement les forces armées congolaises à être mieux organisées, à développer leur doctrine, leur système de commandement également.
Mais ça n'a pas porté ses fruits. Pourquoi? Parce que, à un moment donné, le relais doit être pris au niveau politique par le gouvernement de la RDC. Il faut pour cela qu'il y ait une ligne de conduite cohérente sur le long terme.
Or l'instabilité politique en RDC n'a pas permis de mettre en place un cadre pérenne en la matière au niveau des forces armées.
Quelles en sont les conséquences ? Très clairement, des problèmes de désorganisation sur le terrain, ça se traduit par des replis.
Parce que sur un plan doctrinal, sur le plan de l'organisation, les forces armées congolaises ne savent pas comment gérer les scènes de chaos, les affrontements avec les milices auxquelles elles sont confrontées.
Tout ça fait effet boule de neige, ça génère une indiscipline au niveau des troupes, même sur le terrain lorsqu’il s'agit de trouver par exemple des milices alliées qui permettraient de lutter plus efficacement contre le M23, là aussi il y a un manque de coordination.
DW : Vous parlez de milices qui se sont coalisées avec l'armée, Il y a les Wazalando...
Combiner des forces armées régulières avec des milices dont la stratégie relève davantage du mode de la guérilla, c'est quelque chose qui est presque impossible d'ailleurs à mettre en place parce que les cultures stratégiques sont pas les mêmes.
Les manières de fonctionner ne sont pas les mêmes. Dans un mode de de guérilla, l'idée, c'est justement d'éviter à tout prix la confrontation ouverte et directe. Et de réaliser des opérations irrégulières, des actions d’offensives beaucoup plus discrètes menées en coordination. Des milices ne peuvent faire ça que si elles reposent sur leur propre logique, c'est-à-dire sur des forces réduites, efficaces, dissimulées, etc.
Et c'est presque une alliance ou une coordination contre-nature. Les méthodes ne sont pas les mêmes, il suffit simplement d'imaginer comment, à quelle échelle, par exemple une action coordonnée pourrait être conduite. Est-ce que le commandement sera celui des forces armées régulières ?
Dans ce cas, ça veut dire qu’ils ne comprennent pas très bien la manière de fonctionner de ces milices.
De leur côté, les milices ne vont pas nécessairement accepter que des ordres leur soient donnés alors que ils engagent la responsabilité de leurs propres hommes qui ne font pas partie de l'armée régulière.
DW : Les dernières rapports des experts des Nations unies parlent d'environ 3 à 4000 hommes du côté rwandais qui seraient sur le territoire congolais Comment expliquer qu’environ 3 à 4000 hommes, plus les hommes du M23 arrivent à mettre en déroute une armée aussi grande que les FARDC ?
En réalité, la raison pour laquelle les quelques troupes du M 23, avec le soutien donc d'éléments de l'armée rwandaise, même en faible nombre, elles opèrent dans une zone qui a été presque avec le temps quasi abandonnée par l'autorité gouvernementale centrale de la RDC.
Ces quelques hommes qui sont présents certes, ne présentent pas une force massive occupante, au point de tout contrôler, mais ils sont présents.
Il y a aussi les exactions qui sont commises, les crimes de guerre qui font que, même en n'étant pas présent, l'écho de leurs exactions suffit à créer un sentiment de terreur tel que les populations acceptent d'être contrôlées et renoncent à toute forme de résistance.
Cela suffit.
Si en plus elles peuvent compter sur la désorganisation des FARDC, au manque de discipline dont elles peuvent souffrir, alors très clairement, avec un nombre assez réduit d'hommes, il y a moyen effectivement d'établir un contrôle relativement efficace puisque ce contrôle en plus est basé sur la multiplication d'un certain nombre d'exactions et de crimes de guerre qui sont quelque part les meilleurs ambassadeurs de ces forces et du fait que elles ont pris le contrôle de cette région.