RDC : les dangers de la radicalisation en milieu carcéral
7 juillet 2025A la prison de la ville de Beni dans le Nord Kivu dans l'Est de la RDC, des témoignages d'anciens détenus révèlent que des prisonniers ont été radicalisés et initiés au terrorisme et à l'extrémisme violent par d'autres détenus proches des rebelles de l'ADF. Dans cette prison de Beni, cohabitent civils de droit commun et combattants des groupes armés. La situation préoccupe les autorités pénitentiaires et la Monusco.
La stratégie de la conversion "forcée"
Gustave (c'est un nom d'emprunt) est un ancien détenu de la prison de Kangbayi à Beni. Il y a passé huit mois, entre 2021 et 2022. Pendant sa détention, cet ancien prisonnier, dit avoir été témoin de l'endoctrinement de ses codétenus. Il explique qu'il s'agit bel et bien d'une pratique courante dans cette maison de correction.
"La première tendance, ils vous expriment de la compassion. Les détenus ADF par exemple invitent les gens à leur culte dans la prison et là ils vous expliquent qu'ils sont plutôt dans une guerre des religions et qu'au nom de celle-ci, il n'est pas interdit de tuer les non croyants" raconte à la DW Gustave.
"Pour vous convaincre de les croire ils promettent que les leurs viendront attaquer la prison pour les libérer. Et comme tout détenu désir ardemment sortir de là, on s'accroche à eux" assure par ailleurs l'ex détenu qui précise qu'ils ont "emporté ainsi beaucoup de gens par cette ruse".
Après cette conversion "forcée", selon Gustave les ADF "donnent un nom musulman" aux détenus et les obligent à "le retenir parce que le jour de la libération promise on vous appellera par ce nom".
Construite en 2008, la prison de Kangbayi à Beni devait accueillir 250 personnes. Mais le nombre de détenus y est estimé aujourd'hui à quelque 1.500.
Une situation qui pousse à la radicalisation
Selon la Monusco, environ 400 personnes issues de groupes armés, notamment des ADF, et plus récemment de membres de la coalition rebelle AFC/M23 sont détenues dans cette prison sans oublier des militaires et policiers qui ont commis des délits. Jean Tobi Okala du service de l'information publique de la Monusco à Beni estime que ce mélange est un terrain propice à l'extrémisme violent.
"Cette prison héberge une population hétérogène. Il y a des civils, il y a des membres des groupes armés, il y a d'anciens policiers et militaires. Elle se situe en plus en plein cœur d'une zone marquée par des conflits armés" explique Jean Tobi Okala selon qui "cette mixité pousse les gens à se radicaliser et donc au sortir de la prison ces gens deviennent encore plus dangereux que quand ils entraient en prison".
Le journaliste d'investigation Nicaise Kibel'Bel Oka a beaucoup écrit sur les ADF, les forces démocratiques alliées, un mouvement islamiste affilié à l'état islamique depuis 2017. Pour lui, les membres des groupes armées profitent des souffrances des détenus civils pour leur apporter une sorte de "réconfort moral et spirituel".
"Les détenus qui se retrouvent là-bas, ils sont sans encadrement, c'est un problème réel dans les prisons.Surtout quand la famille vous abandonne, vous êtes à la merci de ceux qui peuvent vous donner à manger dans la prison et effectivement on commence à vous prêcher l'islam, on commence à vous prêcher le paradis, alors on se radicalise davantage" assure le journaliste.
Conscients de cette menace, les responsables de la prison tentent de prévenir ces risques d'endoctrinement par des formations.
Mi-juin 2025, des agents de l'administration pénitentiaire de Beni ont été formés sur la déradicalisation et la prévention de l'extrémisme violent en milieu carcéral.
Pour rappel, le 20 octobre 2020, la prison de Beni avait été attaquée. Selon les autorités, au moins 1.300 prisonniers s'étaient évadés. L'attaque avait été revendiquée par l'Etat islamique en Afrique centrale.