"L'Allemagne doit augmenter sa pression sur le Rwanda"
27 janvier 2025Le Réseau oecuménique pour l'Afrique centrale (ÖNZ) a fait part dès ce lundi [27.01.2025] de sa préoccupation quant à la situation humanitaire à Goma, dans l'est de la RDC. Le mouvement rebelle M23 a annoncé avoir pris la ville, capitale provinciale du Nord-Kivu.
Le directeur de l'ÖNZ, Ciaran Wrons-Passmann, explique dans cette interview à la DW comment, de son point de vue, le gouvernement allemandet l'Union européenne devraient agir davantage pour pacifier la région.
Interview avec Ciaran Wrons-Passmann (27.1.25)
DW: Pourquoi est-ce que l’ÖNZ a publié dès ce lundi [27.01.25] un communiqué pour appeler le gouvernement fédéral allemand à réagir ? Etes-vous particulièrement préoccupé par l’annonce de la prise de Goma par le M23 ?
Oui, même si la chute de Goma était prévisible ces derniers jours étant donnée la pression du M23 sur l’armée congolaise et ses alliées. Mais notre principal souci, c’est que la situation est, je ne dirais pas chaotique, mais très floue.
Il est donc possible qu’il y ait une éruption de violence, à Goma, mais aussi éventuellement, que la situation escalade jusqu’à une guerre ouverte entre le Rwanda et la RDC. Cela n’est pas encore le cas, mais notre intention était de réclamer aux autorités allemandes d’augmenter la pression sur le Rwanda afin que le M23 se retire.
DW : La situation humanitaire est catastrophique, vous l’évoquez dans votre appel. L’approvisionnement des habitants de Goma en nourriture était déjà difficile ces deniers mois. Pensez-vous que la situation peut encore s’aggraver ?
Oui, beaucoup de personnes ont été déplacées, par exemple de Minova, ces derniers jours, et avaient trouvé refuge à Goma. Ces personnes n’ont plus d’endroit où aller.
Seulement voilà, il y a désormais des combats en ville, on nous a signalé des explosions. On ne sait donc absolument pas ce qu’il adviendra de ces gens et comment ils pourront être approvisionnés car les organisations humanitaires internationales se sont retirées de Goma.
Et puis les habitants n’osent pas sortir de chez eux. Comment vont-ils se nourrir dans les prochains jours ?
DW : Que peut faire, selon vous, le gouvernement allemand ? Vous l’appelez à augmenter, avec ses partenaires européens, la pression sur le Rwanda, mais comment faire concrètement ?
L’Union européenne a rapidement pris position, de manière assez claire. Ce n’a pas toujours été le cas par le passé. Donc là, on observe déjà une différence.
A ma connaissance, le ministère allemand de la Coopération n’a pour l’instant que réagi de façon assez neutre. Cela n’est pas surprenant étant données les relations étroites que l’Allemagne entretient avec le Rwanda. L’Allemagne est présente depuis longtemps dans le pays et y financent de gros programmes, en comparaison avec la taille du Rwanda.
L’Allemagne se demande un peu si elle veut continuer à soutenir un pays qui viole ouvertement le droit international et qui semble hermétique à tout appel de l’extérieur.
DW : Qu’est-ce qui peut encore être entrepris, de la part de l’Union africaine, de la SADC pour, au moins faire cesser les combats, voire ramener la paix ?
L’Allemagne pourrait agir et l’Union européenne aussi. Les Etats-membres de l’UE pourraient agir ensemble, par exemple en prenant de nouvelles sanctions. Certaines sont déjà en vigueur, mais on pourrait envisager des sanctions plus ciblées, à l’encontre notamment de certains membres des cercles dirigeants rwandais.
On peut aussi jouer sur les financements. Ceux de la facilitation de l’UE qui financent l’armée rwandaise pour son intervention au Mozambique, qui ont été accordés en décembre dernier. Ces financements pourraient être gelés.
L’Allemagne pourrait aussi réfléchir à des mesures bilatérales, concernant son aide. Cela est le cas aussi avec d’autres acteurs de la région : Berlin pourrait soutenir l'Angola, par exemple, qui est investi dans la médiation sous l’égide de l’Union africaine.
Et puis l’UE dans son ensemble aurait des possibilités d’action.
La question qui se pose est celle de la volonté politique en Allemagne. Est-ce que l’Allemagne veut prendre position, jouer un rôle moteur ? Pour l’instant, cela n’en a pas l’air.
DW : N’est-ce pas particulièrement difficile en ce moment pour l’Allemagne qui se prépare à voter [le 23 février, pour des législatives anticipées] et tant qu’on ne sait pas vraiment ce que l’administration Trump compte faire dans la région ? L’Allemagne pourrait-elle envisager de partir en cavalier seul, ou même avec l’UE, et de mener une politique différente de celle des Etats-Unis. Ce qui pourrait ensuite faire le jeu de la Russie ?
Oui, c’est vrai. La réaction de l’administration Trump sera décisive.
Je pense personnellement que le moment choisi pour cette offensive [sur Goma] n’est pas le fruit du hasard, alors que le nouveau gouvernement américain est en train de s’installer et que pour l’heure il n’y a quasiment pas de réaction des Etats-Unis.
C’était différent sous les gouvernements américains précédents. Ils n’étaient pas non plus extrêmement actifs mais avec Trump, on ne sait pas encore quelle sera sa position.
En Europe aussi, il y a des changements et l’Allemagne est présente depuis longtemps au Rwanda comme en RDC. Mais il y a aussi l’aide au développement et on pourrait penser qu’il est de l’intérêt de tous que la violence n’augmente pas, qu’on n’en vienne pas à une guerre ouverte.