La propagande russe au Burkina : mode de fonctionnement
6 septembre 2025Il est une réalité indéniable aujourd’hui au Sahel et même au-delà : c’est la popularité dont jouit le capitaine Ibrahim Traoré, le chef des militaires au pouvoir au Burkina Faso, en dépit de la recrudescence des attaques djihadistes dans le pays et le nombre de morts qui en résultent. Cette popularité est en grande partie due à la propagande sur place notamment celle russe.
Au centre de la propagande russe au Burkina Faso, il y a notamment "African Intiative" créée en septembre 2023, après le décès du chef du groupe paramilitaire Wagner, Evgueni Prigojine.
Décrite officiellement comme une agence de presse, "African Initiative" est une plateforme de communication étroitement liée au ministère russe de la Défense et à Africa Corps, la nouvelle structure militaire qui a succédé à Wagner.
"Le Burkina Faso est un des pays du Sahel où on observe le plus de campagne de désinformation attribuée à la Russie notamment par le biais de African Initiative. C’est une officine de propagande qui accompagne l’arrivée de Africa Corps sur ses terrains d’opération. L’an passé, elle a dépêché au Burkina, un propagandiste italien Vittorio Nicola Rangeloni. Elle collabore aussi avec des journalistes burkinabè mais aussi maliens et nigériens et a financé des voyages de presse pour les journalistes de la région", explique Camille Montagu, chargé de recherches à Reporters sans frontières (RSF).
Sur son site internet, "African Initiative" explique " permettre aux Russes et aux Africains de mieux se connaître en informant objectivement et rapidement ses lecteurs et collègues de ce qui se passe sur le continent ".
Recours aux influenceurs
L'agence possède des bureaux notamment à Ouagadougou, Bamako et Bangui. Elle dispose d'une chaîne vidéo en ligne et de plusieurs chaînes Telegram avec des milliers d'abonnés et gère des plateformes de médias sociaux en russe, en anglais, en français et en arabe. Des supports qui lui servent dans son travail de manipulation et de propagande selon Qemal Affagnon de Internet sans frontières.
"On a observé le recours à des influenceurs disséminés sur des plateformes telles que WhatsApp et télégram beaucoup de contenus sont relayés aussi sur X, des canaux de communications qui permettent de coordonner aussi l'organisation de certaines manifestations qu'on a pu voir dans les rues au Burkina Faso. On observe également un certain nombre de publications très coordonnées sur les réseaux sociaux. Le recours aux comptes fictifs est une stratégie qui fonctionne bien parce que ces comptes sont très actifs bien gérés par des administrateurs qui sont basés par exemple en France. Ce sont des messages qui viennent soutenir l'action du capitaine Traoré", explique Qemal Affagnon
L'usage de l'intélligence artificielle
"African Initiative" a par ailleurs de plus en plus recours à l'intélligence artificielle dans cette propagande toujour selon Qemal Affagnon.
"On a vu plus de 300 vidéos sur les réseaux sociaux dont certaines mettent en avant des célébrités comme R.Kelly, Béyoncé. On les voit ces célébrités aux côtés d'Ibrahim Traoré. L'intelligence artificielle utilise l'image et la voix de ces vedettes qui vient renforcer la popularité et la stature du capitaine Traoré. Le but ici est de tromper, de désinformer."
La liberté d'informer menacée
Les premières victimes de la propagande russe ce sont les journalistes. "On vit les heures les plus sombres du journalisme au Burkina Faso", explique un reporter burkinabè rencontré il y a quelques mois par une équipe de chercheurs.
"L'une des principales conséquences pour les populations, c'est qu'elles n'ont plus accès à une information fiable et vérifiée. Les autorités sont responsables de cela. Elles instaurent depuis trois ans un traitement patriotique de l'information. Elles ont suspendu dans un premier temps les médias internationaux et elles s'en prennent désormais aux médias burkinabè. Radio Omega en est le dernier exemple. Les journalistes sont interpelés, menacés et l’autocensure est de mise dans les médias privés", ajoute Camille Montagu de Reporters sans frontières (RSF).
Dans ses opérations d’influence, la Russie s’appuie également sur la culture et l’éducation. Entre 2022 et 2024, de nombreuses Maison russes de la culture ont vu le jour au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Elles sont placées sous le contrôle du ministère russe des Affaires étrangères.
Quant au rédacteur en chef de "African Initiave", Artyom Koureïev, il est sous sanctions européennes pour son implication dans des campagnes de "désinformation coordonnées", tant en Europe qu’en Afrique.