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EconomieAllemagne

Redéfinir le partenariat Allemagne-Afrique

Sandrine Blanchard | Luisa von Richthofen
29 juillet 2025

L'Allemagne veut accroître ses échanges commerciaux avec l'Afrique mais Berlin a besoin d'une stratégie adaptée.

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Kenya Ruiru 2025 | Un ouvrier dans un entrepôt de Cold Solutions Kenya, à Tatu City
Les investissements étrangers sont basés sur du partenariat public-privéImage : Tony Karumba/AFP/Getty Images

En Afrique, la Chine investit, l'Inde agit et les Etats du Golfe construisent. C'est ainsi qu'on peut résumer, schématiquement, les axes politiques suivis par ces pays sur le continent africain. Et l'Allemagne dans tout cela ?

Le gouvernement de Friedrich Merz espère accroître les échanges commerciaux avec l'Afrique. Mais Berlin manque de stratégie et l'Allemagne est prise de vitesse par des concurrents qui ont bien compris, eux, l'importance géostratégique de l'Afrique, une importance qui dépasse les seules ressources naturelles.

Des atouts pour l'Allemagne

La Tanzanie, la Côte d'Ivoire ou le Sénégal enregistrent depuis des années des taux de croissance robustes. La demande en infrastructures, en biens de consommation et en énergie augmente partout sur le continent, alimentée également par la croissance démographique rapide.

Des facteurs qui sont autant de chances, sur le papier, pour l'économie allemande.

Et pourtant, les exportations allemandes vers l'Afrique stagnent depuis plus d'une décennie. En 2014, elles s'élevaient à 13,3 milliards d'euros, dix ans plus tard, elles n'atteignaient que 14,2 milliards. Si l'on tient compte de l'inflation, cette croissance est nulle.

Munich 2025 | Le président congolais de Félix-Antoine Tshisekedi lors d'une intervention à la Conférence internationale de Munich sur la sécurité (MSC)
La RDC fait partie des pays attrayants pour les industriels du fait de ses ressources naturellesImage : Michaela Stache/AFP

La nouvelle ruée vers l'Afrique

Ce sont des entreprises chinoises, indiennes, turques ou des pays du Golfe qui décrochent de plus en plus les gros contrats en Afrique.

La Chine a fortement augmenté ses exportations et ses investissements sur le continent au cours des vingt dernières années. Les entreprises allemandes, en revanche, ont perdu des parts de marché dans de nombreux secteurs.

Sur fond de déclin relatif de l'Union européenne et des Etats-Unis, cette nouvelle donne a relancé une "course à l'Afrique" entre les grandes puissances mondiales.

Une stratégie à revoir

C'est pourquoi la Chambre du commerce et de l'industrie allemande et l'Initiative subsaharienne de l'économie allemande (Safri) ont réclamé, au gouvernement fédéral, un "tournant africain", en amont du G20 qui s'est tenu à Durban, en Afrique du Sud.

Christoph Kannengießer, de l'Afrika-Verein (archive de 2021)
Christoph Kannengießer déplore l'image d'instabilité de l'Afrique auprès des investisseursImage : Metodi Popow/imago images

Christoph Kannengießer, directeur général de l'Association allemande pour l'Afrique (Afrika-Verein), estime que l'Allemagne se trouve dans une position avantageuse, du fait de sa bonne réputation par rapport aux autres pays industrialisés occidentaux.

"Pour résumer : les entreprises allemandes, tout comme nos partenaires africains, souhaitent que nous soyons plus réactifs, plus rapides (...) car nous arrivons souvent trop tard, quand d'autres ont déjà proposé des solutions", explique-t-il.

Cobalt, bauxite, lithium, terres rares… les minerais du sous-sol africain ne sont encore que partiellement exploités.

La concurrence internationale

Alors que la demande mondiale augmente, certains pays, notamment la Chine, s'assurent l'accès à ces ressources, souvent grâce à des projets d'infrastructure à long terme et à une stratégie industrielle claire.

Le président américain Donald Trump a lui aussi lancé une offensive de charme. L'Allemagne, en revanche, risque de prendre du retard. Les groupes industriels allemands tirent désormais la sonnette d'alarme : la Chine représente plus de 60 % de la production mondiale de terres rares et près de 90 % de leur raffinage.

Les récentes restrictions à l'exportation imposées par Pékin ont brusquement mis en évidence la dépendance de l'Europe dans ce domaine.

Problème d'image

Selon Christoph Kannengießer, le principal obstacle à un engagement accru des entreprises allemandes en Afrique tient au discours dominant : le continent est perçu comme trop risqué.

Ce qui a des conséquences directes : les banques exigent parfois des taux d'intérêt à deux chiffres ou refusent d'accorder des crédits en l'absence de garanties ou de stabilité politique. C'est là que l'État peut intervenir : avec des instruments ciblés pour sécuriser et faciliter les investissements, en particulier pour les petites et moyennes entreprises.

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Par ailleurs, d'autres Etats européens, comme la France, la Belgique ou les Pays-Bas, ont inclus leur stratégie africaine dans leur politique étrangère. Sur place, les ambassades peuvent donner des autorisations qui manquent aux entreprises. Les entreprises allemandes, elles, rencontrent des obstacles pratiques pour le financement, les questions de visa ou l'absence d'accords de double imposition.

L'Allemagne pourrait donc, au lieu de stratégies générales, lancer des initiatives diplomatiques ciblées, différenciées par domaine et par région, au plus haut niveau politique.

Changement de perspective

Mais pour Kai Koddenbrock, politologue au Bard College de Berlin, cela nécessite aussi un changement de mentalité :

"Il me semble très irréaliste de supposer que l'Allemagne a un intérêt sincère à voir émerger un continent africain fort, déclare-t-il à la DW, parce que celui-ci pourrait alors lui imposer des prix plus élevés pour ses produits industriels... Ce qui devrait pourtant être l'objectif final."

Le gouvernement de Friedrich Merz devra préciser quel rôle il conçoit pour l'Allemagne en Afrique : un simple investisseur, un garant de l'approvisionnement en matières premières pour l'industrie, ou alors un véritable partenaire d'égal à égal.

Auquel cas, selon Kai Koddenbrock, l'Europe tout entière "devra être prête à accepter la formation de blocs dans les pays du Sud et à payer des prix plus élevés pour les produits bruts ou transformés provenant d'Afrique". Ce qui suppose de nous "demander quel type d'économie nous voulons, en Allemagne et dans le monde".