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La modification génétique du moustique est un outil efficace

20 août 2025

Interview avec le chercheur burkinabè Herman Sorgho sur l'état d'avancement des recherches sur les maladies transmises par les moustiques.

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Le 20 août, c’est la journée internationale du moustique. Cette famille d’insectes est riche, elle compte plus de 3.500 espèces différentes recensées. Plus de 800 espèces sont présentes dans les pays du Sahel. Mais seules certaines d’entre elles peuvent transmettre des maladies, parfois mortelles, pour l’humain. La plus répandue d'entre elles est le paludisme.
Suivez ci-dessous (ou en cliquant sur la photo ci-dessus), l'entretien avec Herman Sorgho, chercheur burkinabè qui a travaillé à l’élaboration de l'un des deux vaccins contre le paludisme préautorisés par l'Organisation mondiale de la Santé, le R21. Il explique où en sont les recherches pour endiguer la transmission de maladies par le moustique à l'humain.

La vaccination pour mieux lutter contre le paludisme

Interview de Herman Sorgho

 

DW : Herman Sorgho, vous avez travaillé notamment sur l'élaboration de l’un des vaccins qui ont été pré-autorisés par l'OMS contre le paludisme. Où en est-on du point de vue de la vaccination en Afrique subsaharienne contre cette maladie ?

Il y a juste une semaine, le Burkina Faso vient de lancer la vaccination à l'échelle du pays contre le paludisme, en utilisant le vaccin contre le paludisme appelé R 21.

Pour ce qui est du monde et plus spécifiquement de l'Afrique, on a aujourd'hui plus de 30 pays qui sont candidats pour introduire ces deux vaccins, qui ont été initialement le RTS,S et ensuite le R21, en 2023, pour vacciner les enfants. Et à ce jour, plus de 18 pays ont introduit ce vaccin pour protéger les enfants contre le paludisme.

 

DW : A terme, comment est-ce qu'on peut lutter efficacement à la fois contre les maladies virales et les maladies parasitaires qui peuvent être transmises par certains moustiques ?

Nous sommes convaincus qu'il faut dans un premier temps pouvoir contrôler la chez l'hôte [humain de ces maladies], donc en utilisant des outils comme le vaccin, puis les outils qui limitent les contacts, comme les moustiquaires imprégnés.

Mais de façon ultime, il va nous falloir trouver un moyen efficace pour contrôler cette population de vecteurs que sont les moustiques.

Vidéo de l'OMS Afrique (Tchad) sur la prévention:

 

DW : L'Organisation mondiale de la santé s'inquiète aussi depuis quelques années de la propagation en Afrique d'une espèce originaire d'Asie du Sud, l’anopheles stephensi, qui serait plus résistante notamment aux insecticides, qui piquent aussi pendant la saison sèche et puis plutôt dans la journée, ce qui fait que les gens, à ces moments-là ne sont pas sous des moustiquaires par exemple. Comment est-ce qu'on peut faire pour lutter aussi contre ces nouvelles espèces qui risquent peut-être de proliférer avec le changement climatique ?

Dans un premier temps, on développe des outils pour contrôler un problème de santé publique.

Mais la nature nous rappelle toujours qu'elle a toujours plus d’un tour dans son sac.

Pour ce qui est de l'Afrique, pendant des décennies nous n’avions eu affaire qu’à l’anopheles gambiae, funestus, arabiensis. Donc nous avons, durant les 50 dernières années, développé des méthodes de lutte contre ces vecteurs [connus].

Mais du fait de la mondialisation, nous avons un moustique invasif appelé stephensi qui, à la différence de tous les autres moustiques que nous connaissions et pour lesquels nous avions développé des outils de lutte, comme vous l'avez dit, stephensi pique de façon diurne, dans la journée.

Kenya Kisumu 2024 | Des mains gantées inoculent un vaccin anti-palu dans le bras d'une patiente au Nightingale Medical Centre
De plus en plus de pays sont intéressés par la vaccination anti-paludéenneImage : Brian Ongoro/AP Photo/picture alliance

Donc il va nous falloir très rapidement développer des outils pour contrôler les populations d’anophèle stephensi. L'un des outils aujourd'hui qui a démontré un grand potentiel, c'est l'utilisation du moustique génétiquement modifié, qui cible spécifiquement une population identifiée.

L'expérience des pays, comme Djibouti l'a démontré : on peut modifier aujourd'hui des moustiques de l'espèce de stephensi, les relâcher dans la nature et ceci va permettre dDe réduire la population de femelles parce que, pour ce qui concerne le paludisme, le vecteur privilégié est la femelle qui elle seule transmet cette maladie.

Avec la manipulation génétique, on peut manipuler et faire en sorte que les moustiques mâles qui se reproduisent aboutissent à une progéniture infertile.

Donc, par la multiplication des cycles, on va aboutir à un anéantissement de la population d'anophèle stephensi. Cette espèce est résistante aux insecticides dont nous disposons aujourd'hui.

Et comme ils piquent dans la journée, les moustiquaires imprégnées sont totalement inutiles.

Le Ghana renforce sa lutte contre le paludisme

 

DW : Qu’en est-il, justement, des recherches génétiques qui ont cours et qui tendent à réduire certaines populations de de moustiques, à influer sur le génome de certaines espèces ? Est-ce que ce sont des techniques qui ont de l'avenir malgré les critiques qui ont pu être formulées, notamment par des gens qui craignent que ça ait une influence sur la chaîne alimentaire par exemple ? Est-ce que ce sont des recherches qui vont continuer et qui sont, selon vous, porteuses d'espoir ?

 Ce n'est pas pour nous, la communauté scientifique, un problème qu’on questionne le potentiel danger, c'est-à-dire le risque de moustiques génétiquement modifiés.

Ceci est vraiment légitime et dans la communauté scientifique, nous sommes unanimes pour dire que nous ne pouvons pas donner une assurance à 100% d’un risque zéro.

Néanmoins, nous avons l'expérience de ce qui s'est passé dans le contrôle des maladies transmises au bétail par les taons. Là où il y a eu des modifications génétiques, ça a donné des résultats très probants.

Et depuis les essais à l'échelle nationale que on a effectués au Brésil et dans les îles des Caraïbes, on a démontré que les moustiques génétiquement modifiés avaient un effet positif. Jusqu'à présent, depuis la dernière décennie, nous n'avons pas constaté d’effet négatif spécifique lié à ces moustiques génétiquement modifiés puisque la technologie nous permet de cibler un gène spécifique de ce moustique.

(…)

Série santé : le paludisme

Nous sommes assez convaincus que ces moustiques nous ne vont pas créer de problème environnemental substantiel qui contrebalance le bénéfice.

La démarche, le principe d'avancer ou pas en matière de santé publique repose sur l'équilibre entre le risque et le bénéfice.

Dans ce genre de situation, comme dans la situation des médicaments ou des vaccins, nous savons que le risque n'est pas 0, mais quand le bénéfice risque dépasse de façon significative le risque, nous décidons d'avancer forts de l'expérience que nous avons vécue des lâchers au Brésil. Le Brésil a été pionnier dans l'utilisation des moustiques génétiquement modifiés. Ensuite, l'Asie du Sud-Ouest a emboîté le pas et a utilisé à grande échelle les moustiques génétiquement modifiés.

En Afrique, on a commencé les lâchers de moustiques génétiquement modifiés depuis un certain nombre d'années, au Cameroun et au Mali. Au Burkina, là où je vis et je travaille, nous avons fait les premiers lâchers de moustiques génétiquement modifiés en 2023.

On a suivi de façon rationnelle et scientifique le devenir de ces moustiques et les résultats dont nous disposons nous enseignent que ces moustiques meurent dans un temps relativement court, pas supérieur à un mois, de telle sorte que leur impact environnemental est presque nul.

Donc nous sommes en présence d'une chance que nous devons saisir pour lutter efficacement contre les moustiques qui ont été pendant des décennies et des millénaires responsables de la transmission du paludisme en Afrique, mais aussi des moustiques nouvellement importés en Afrique qui causent un véritable problème.

Et nous avons un outil dont toutes les données dont nous disposons nous enseignent que le bénéfice dépasse largement le risque.

Il appartient aux décideurs de décider : allons-nous profiter des outils que nous avons ou allons-nous simplement attendre et voir tous les acquis que nous avons eus depuis les années 2000 s'effondrer parce que nous avons préféré ne pas utiliser les données scientifiques mais plutôt des données qui sont de l'ordre de l'inquiétude- qui est légitime et justifiée - des populations quant à l'impact des organismes génétiquement modifiés sur la nature ?

Cela n'empêche pas le contrôle et nous devons toujours contrôler de telle sorte que si jamais il y a risque, nous puissions nous arrêter à temps. Avant que les risques ne dépassent les bénéfices.