Le Burkina dissout la Céni qualifiée de budgétivore
17 juillet 2025Alors qu’il recevait le 23 février 2024, un rapport de la Commission électorale nationale indépendante (Céni), des mains de son président, Elysée Ouédraogo, le président de la transition du burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, avait assuré pourtant vouloir accompagner la Céni pour la réussite des élections à venir.
Mais, quelques mois plus tard, en mai, des assises ont fixé à cinq ans la transition militaire. Enfin, début avril, Ibrahima Traoré a affirmé que le Burkina Faso n’est pas dans une démocratie, mais dans la révolution.
Pour l’artiste musicien burkinabè en exil, Almamy KJ, la dissolution de la Céni suit une logique de déstructuration de la démocratie.
"Ce n’est pas une affaire de dire que l’institution est budgétivore. Non, c’est la continuité de la liquidation des acquis démocratiques du Burkina Faso. Si la junte au pouvoir enlève, torture des citoyens, ce n’est pas supprimer la Céni qui leur posera un problème. C'est la continuité de la dictature."
Limiter les influences étrangères
Emile Zerbo, le ministre d’Etat, chargé de l’Administration territoriale, s’inscrit dans le cadre de la refondation de l’Etat. Il explique que le but est de renforcer le contrôle du Burkina Faso sur le processus électoral pour limiter les influences étrangères.
Emile Zerbo évalue à près d’un demi-milliard de francs CFA la subvention accordée à la Céni et conclut qu’elle est "budgétivore". C'est désormais son ministère qui va organiser les élections.
Babacar Ndiaye est directeur de recherche au cercle de réflexion Wathi, basé à Dakar, au Sénégal. Il souligne que l’important est la confiance qu’on pourra accorder à une élection organisée par le gouvernement.
"La question de la neutralité du ministère de l’Administration territoriale ou celui de l’Intérieur a souvent été évoquée. Dire que si c’est le ministère de l’Intérieur qui l’organise, cela revient à faire des économies, cela peut être aussi pertinent par rapport aux finances publiques, pourquoi pas ? Mais encore une fois, le plus important, finalement, lorsqu’on organise une élection, c’est la confiance que les acteurs ont par rapport au processus."
Les militaires burkinabè cherchent par ailleurs à mettre la main sur un organe dont le contrôle leur échappait. Selon la loi de 2001, portant sur la Céni, cette institution est composée de 15 commissaires issus des partis politiques et de la société civile.
Détricotage des institutions de la République
Ahmed Newton Barry a dirigé la Céni. Il dit ne pas être surpris par cette décision. Il se dit "désolé parce que c'est le processus de détricotage évidemment de toutes les institutions pour lesquelles des centaines de burkinabè sont morts".
"Parce qu'il faut pas oublier qu'entre 1990, début de la démocratisation au Burkina et l'acceptation de la commission électorale indépendante telle qu'elle est dans le format qu'elle a aujourd'hui, il a fallu que des gens se battent, il a fallu que certains en meurent. Et celui-même, le mort le plus emblématique qui a permis l'avènement de la Céni dans son format actuel, c'est Norbert Zongo."
Selon Ahmed Newton Barry, transférer la gestion des élections à un ministère ne règle pas le problème : "La soutenabilité des élections n'est pas un problème au-dessus de la possibilité des Burkinabè, il suffit simplement de régler en amont un certain nombre de questions et notamment l'établissement du fichier électoral, il faut tout simplement l'arrimer à l'état civil et ça, aujourd'hui, on peut le faire par le biais de la base de données de la carte d'identité qui est par ailleurs biométrique."
Pour l’ancien président de la Céni, Ahmed Newton Barry "quand la démocratie a des difficultés de fonctionnement, il faut en appeler au peuple. C'est ça, au lieu d'en appeler aux militaires, il faut en appeler au peuple. C'est ce que les militaires ne veulent pas faire. Evidemment, ça les arrange, eux".
"Quand quelqu'un se fait élire pour 5 ans dans une petite salle obscure, avec moins de 100 personnes, naturellement, cette personne ne peut pas vouloir d'une commission électorale indépendante de surcroît."
Le Burkina Faso prend cette décision, alors qu’au Mali et au Niger, les commissions électorales sont encore en place. Reste à savoir si Ouagadougou va inspirer les autres capitales, alors queles trois pays de l’AES ont souvent pris des décisions similaires.