Dans un contexte où les défis économiques se conjuguent aux turbulences politiques, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) demeure l’un des ensembles régionaux les plus dynamiques du continent. Pour l’économiste béninois Lionel Zinsou, ancien Premier ministre et fin connaisseur des enjeux africains, l’organisation ouest-africaine incarne à la fois un acquis précieux et une promesse à affiner.
Une locomotive régionale de l’intégration
« Il faut lui rendre cet hommage », souligne Lionel Zinsou. La Cédéao, aux côtés de la Communauté d’Afrique de l’Est (EAC), figure parmi les blocs économiques africains les plus avancés. Elle préfigure, selon lui, la grande zone de libre-échange africaine (Zlecaf) en cours de mise en œuvre et qui deviendra à terme « la plus grande par la taille des zones de libre-échange dans le monde, plus grande que celles de l’Union européenne ou du Mercosur ».
La Cédéao permet déjà deux avancées fondamentales : la liberté de circulation des personnes et celle des entreprises et des capitaux. Deux piliers indispensables pour la constitution d’un marché commun et pour stimuler les échanges intra régionaux.
Combattre la fragmentation pour attirer les capitaux
Mais Zinsou rappelle que l’Afrique reste profondément fragmentée : 1,4 milliard d’habitants répartis sur 54 pays, contre une seule Union en Inde pour le même nombre de personnes. Or, cette dispersion rend difficile l’attraction des investissements, qu’ils soient locaux, issus de la diaspora ou venus de l’étranger. « Le regroupement régional est fondamental », affirme-t-il, car il permet de constituer des marchés de taille critique, capables de séduire les investisseurs.
Dans cette dynamique, la Cédéao a posé des règles communes, notamment l’absence de droits de douane pour les produits à 50 % de valeur ajoutée régionale, mais des poches de protectionnisme persistent, retardant l’harmonisation complète.
Un recentrage nécessaire sur les missions économiques
Interrogé sur les secousses récentes notamment les retraits de plusieurs pays à la suite des sanctions politiques, Lionel Zinsou reste lucide : « La Cédéao est bien partie. Elle peut aller beaucoup plus loin. Mais il y a un travail de réforme à faire ». Il suggère un recentrage sur ses missions économiques, en mettant en retrait l’ingérence politique, qui a suscité des tensions.
Preuve de l’importance économique de la Cédéao : même les États en retrait formel continuent de négocier le maintien des avantages commerciaux et de libre circulation. Ce qui, pour Lionel Zinsou, témoigne d’une reconnaissance implicite de son rôle incontournable.
Au-delà des turbulences géopolitiques, la Cédéao reste l’un des rares cadres africains à incarner une ambition économique collective. Pour Lionel Zinsou, son approfondissement, sa réforme et sa stabilité sont des conditions clés pour un développement à l’échelle régionale, plus équitable et mieux structuré. Un enjeu crucial pour l’avenir du continent.
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La monnaie nationale ghanéenne se redresse, mais le quotidien des consommateurs reste marqué par des prix élevés.
Depuis le début de l’année 2025, le Ghana affiche des signes de reprise économique, portés notamment par un spectaculaire rebond du cedi. Passé de 15,53 cedis pour un dollar à la mi-mars à 10,29 aujourd’hui, la monnaie ghanéenne enregistre une appréciation de plus de 16 % en un mois. Un bond qui lui a valu d’être qualifiée par Bloomberg de « devise la plus performante au monde » début mai.
Mais dans les marchés d’Accra, les effets de ce retournement se font encore attendre. Le prix du gari, des tomates ou du riz reste élevé pour la majorité des consommateurs. « Non, c’est élevé, tous les produits sont trop chers. Quand je vais acheter, j’achète en cedis, je n’achète pas en dollars », s’exaspère une vendeuse.
Une monnaie soutenue par l’or… et par la Banque centrale
Selon l’économiste Leslie Dwight Mensah, ce redressement s’explique principalement par un boom de la production aurifère – en hausse de 19 % par an depuis trois ans – et par un environnement macroéconomique assaini : restructuration de la dette achevée, recul du prix du pétrole, réduction du service de la dette.
Mais l’autre levier vient de la Banque du Ghana. En vendant massivement ses bons aux banques commerciales, elle a aspiré une partie des liquidités en circulation, raréfiant le cedi et soutenant ainsi sa valeur. Une stratégie monétaire assumée pour renforcer la devise nationale.
Une inflation en baisse, des prix encore figés
La conséquence immédiate de cette reprise est une baisse notable de l’inflation, tombée à 18,4 %, son plus bas niveau depuis le début de la crise de 2022. Certains produits importés, comme le riz ou l’huile, voient timidement leurs prix baisser dans certains quartiers, tout comme les tarifs du transport, signal positif salué par les commerçants et les usagers.
Mais la transmission reste lente. Pour Joseph Obeng, président de la Guta (Union des commerçants du Ghana), le marché suit son propre rythme : « Les détaillants doivent écouler les stocks achetés à l’ancien taux de change avant de pouvoir ajuster les prix. »
Sur les marchés, quelques commerçants comme Esther Kotey notent déjà une amélioration de l’activité : « Si le prix baisse, je vends aussi plus bas et j’ai beaucoup de gens qui viennent acheter. » Mais la majorité des vendeurs attendent de voir si cette tendance s’inscrit dans la durée. La prudence reste de mise dans un contexte où la volatilité du cedi, ces dernières années, a laissé des traces.
Au Ghana, la reprise monétaire est amorcée. Reste à savoir si elle suffira à soulager durablement les ménages et à restaurer la confiance des consommateurs.
[ Cliquez sur l’image pour écouter le reportage de Claudia Lacave, la correspondante de la DW à Accra ]