Une menace directe pour les entreprises et l'emploi
Couper l’accès à Internet aujourd’hui, c’est d’abord asphyxier un écosystème numérique florissant. « Couper Internet aujourd'hui, ça a un impact direct sur l'économie, parce que les structures, les PME, les start-ups en dépendent majoritairement », rappelle Amzath Abdoulaye, consultant géopolitique et spécialiste des questions numériques et internationales.
L'économie numérique en Afrique s'est développée de manière exponentielle depuis les années 2010, portée par les solutions de paiement mobile, le mobile money, les plateformes de commerce en ligne, mais aussi les services bancaires dématérialisés. Une interruption brutale du réseau provoque ainsi une cascade de pertes financières et de désorganisation pour les acteurs économiques.
Pour Romain Abile Houehou, Coordinateur du Réseau africain des consommateurs des TIC, Internet est bien plus qu'un simple canal de communication : « L'Internet transporte une diversité d'informations pour le business, pour la santé, pour l'agriculture, pour beaucoup de types de services qui peuvent être bénéficiés à distance ».
L'appel à la diversification des accès
Pour prévenir ces blocages, Romain Abile Houehou prône le développement de solutions parallèles : « Ce que nous on peut recommander [...], c'est d'avoir ce qu'on appelle des réseaux alternatifs. Au niveau global, aujourd'hui, il y a des réseaux satellitaires [...] ces tarifs-là ont commencé par baisser ».
Mais ces solutions restent encore peu accessibles pour de nombreuses entreprises africaines, notamment les PME et les start-ups qui peinent déjà à se développer dans un environnement réglementaire parfois contraignant.
Cas pratique : le Togo en proie aux restrictions
Le Togo est l’un des pays qui, ces dernières semaines, a connu les effets dévastateurs d’une restriction numérique. Depuis les manifestations de fin juin 2025, le pays vit au rythme d'un Internet dégradé. Les réseaux sociaux sont difficilement accessibles, les communications professionnelles et commerciales s'en ressentent fortement.
Dans un pays où le numérique est devenu la colonne vertébrale de l’économie, cette déconnexion partielle bouleverse les habitudes. Paiements en ligne, authentifications, transferts, formations à distance... Plus rien ne fonctionne normalement. Les coupures intermittentes freinent le quotidien professionnel comme personnel.
Pour Vivien, informaticien et graphiste, l’impact est direct : « La restriction de la connexion internet au Togo ces derniers jours a eu un impact très désastreux sur mon activité. 90 % de ma clientèle se trouve à l’étranger. »
Même constat pour les formateurs comme Stéphane : « On assiste à des coupures lors de nos formations. La plupart de mes clients à l'extérieur ont une bonne connexion, mais certains s’interrogent sur la qualité du service que je propose. C'est déplorable. »
Le numérique étant devenu un espace de création et d’innovation pour la jeunesse, ces restrictions touchent aussi les entrepreneurs du digital et les acteurs de l’économie informelle. Emmanuel Vitus Agbénonwossi, président d’Internet Society Togo, observe : « Les plus durement touchés, ce sont les jeunes entrepreneurs et les acteurs de l'économie informelle. TikTok, par exemple, est devenu un canal de vente dynamique pour la coiffure, la cosmétique, l’artisanat, la couture ou encore l’alimentation. »
Ismaël Tanko, entrepreneur, voit ses outils de marketing et communication bloqués : « Depuis qu'on n'a plus accès à Facebook ou TikTok, on ne peut plus faire de publicité ni toucher les clients. C’est devenu très compliqué. »
La frustration grandit aussi du côté des consommateurs. Fridolin Adonsou, vice-président de l’ATC, dénonce un manque de transparence : « Nous avons enregistré plusieurs plaintes de consommateurs. Internet est devenu un outil incontournable. Quand on paie pour un service et qu'on n'en profite pas, c'est frustrant. »
Le secteur bancaire lui-même est impacté. « Ecobank Togo a averti ses clients que les SMS de validation de transactions n’arrivent plus correctement aux numéros nationaux. Cela bloque les paiements, les virements, et compromet l’inclusion financière », souligne Emmanuel Vitus Agbénonwossi.
Selon Internet Society, une journée de restrictions ciblées au Togo coûterait environ 648 000 dollars à l’économie nationale. Et ces chiffres restent prudents tant les impacts sont aussi immatériels : « Chaque coupure génère une perte de confiance, un ralentissement de la productivité, une difficulté à innover et un sentiment d'incertitude qui décourage les investisseurs », ajoute-t-il.
Au-delà des chiffres, c’est un pan entier de la jeunesse togolaise qui se retrouve coupé du monde, de ses opportunités et de ses débouchés économiques. Les associations de consommateurs et les professionnels du numérique réclament davantage de clarté.
Fridolin Adonsou regrette : « Nos démarches auprès des autorités et de l’ARCEP pour comprendre les raisons de ces restrictions sont restées sans réponse. Dans un pays en quête de transformation digitale, couper Internet revient à ralentir tout un pays. »
Les acteurs du numérique appellent à une transparence minimale et à un dialogue avec les autorités : « Le numérique n’est plus un luxe, mais un pilier essentiel de notre société », conclut Emmanuel Vitus Agbénonwossi.
Aujourd’hui, au Togo, le signal Internet clignote encore. Mais derrière ce scintillement incertain, ce sont des vies, des économies et des ambitions qui attendent de retrouver leur connexion avec le monde.
Pour une Afrique numérique libre et ouverte
Les restrictions d’Internet sont devenues une arme politique aux conséquences économiques dévastatrices. Elles érodent la confiance des investisseurs, affectent la compétitivité des entreprises et compromettent les ambitions de transformation digitale des États africains.
Garantir un accès libre, sûr et permanent à Internet doit être une priorité pour les gouvernements. C’est une condition essentielle pour soutenir le développement, la croissance et la justice sociale sur le continent.
[Cliquez sur l’image pour écouter l’intégralité des explications de Romain Abile Houéhou et Amzath Abdoulaye, ainsi que le reportage de Noel Tadegnon, le correspondant de la DW à Lomé]