Le karité, un trésor africain aux racines profondes
Le karité est un arbre endémique des savanes africaines. De son fruit, on extrait un beurre aux multiples vertus, utilisé dans l’alimentation, la cosmétique et l’industrie pharmaceutique. Mais derrière cette matière prisée, se cache une réalité méconnue : une filière dominée par les femmes rurales, souvent peu valorisées.
Pour Armand Kingbo, Secrétaire permanent de l’interprofession karité du Bénin, il est temps de changer de paradigme.
« Le karité, on ne le trouve pas en Europe, ni aux États-Unis, ni en Asie. C’est une espèce propre à l’Afrique de l’Ouest, et un peu à l’Est du continent. Mais sa croissance est très lente. Il faut parfois 15 à 20 ans avant qu’un arbre commence à produire. »
Des interdictions qui bousculent la chaîne d’approvisionnement
Face à la croissance de la demande mondiale, plusieurs pays africains ont pris une décision radicale : interdire l’exportation brute des amandes de karité. Objectif : stimuler la transformation locale et créer de la valeur sur place.
« Des pays comme le Burkina Faso, le Mali ou la Côte d’Ivoire ont interdit l’exportation des amandes, ce qui a favorisé l’implantation d’unités industrielles. Le Bénin suit cette dynamique, notamment avec la Zone industrielle de Glo-Djigbé qui accueille désormais des transformateurs de karité », explique Armand Kingbo.
Mais cette stratégie entraîne aussi des distorsions du marché et une flambée temporaire des prix.
« En 2023, le kilo d’amandes est monté jusqu’à 750 FCFA, contre 250 en moyenne. Ce n’était pas une hausse durable, mais plutôt une conséquence des restrictions commerciales chez nos voisins. »
Une filière encore inégalitaire
Malgré les efforts, les femmes, piliers de la filière, ne perçoivent pas toujours les fruits de la croissance.
« Il faut que le prix fixé pour l’amande de karité parvienne jusqu’à la femme rurale. Elle doit être payée en main propre, immédiatement, sans attendre, pour éviter qu’elle ne brade sa récolte », plaide Armand Kingbo, soulignant la nécessité de mécanismes de contrôle et de magasins de centralisation dans les zones de production.
Une demande mondiale portée par le chocolat
Le karité n’est plus seulement l’allié de la cosmétique naturelle. Il est désormais un ingrédient de l’industrie chocolatière, utilisé comme substitut au beurre de cacao.
« Cela fait plus de 10 ans qu’il est incorporé à hauteur de 5 % dans l’industrie chocolatière européenne. Ce n’est pas une perspective, c’est déjà une réalité », affirme Kingbo.
Une évolution qui ouvre des perspectives pour les pays africains, à condition d’investir dans la qualité, la normalisation et l’industrialisation.
À l’heure où les marchés exigent des produits traçables, durables et équitables, le karité peut devenir un véritable moteur de développement – à condition que les politiques publiques, les industriels et les communautés rurales s’accordent sur une vision partagée.
Le défi est clair : sortir du piège des exportations brutes, et faire du karité non seulement une richesse naturelle, mais un levier d’autonomisation des femmes, de création d’emplois locaux et de souveraineté économique régionale.
[ Cliquez sur l’image pour écouter l’intégralité des explications de Armand Kingbo, secrétaire permanent de l’interprofession karité au Bénin ]
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En RCA, les entrepreneurs souffrent du manque de crédit
Sur un chantier de construction dans le 4e arrondissement de Bangui, les pelleteuses s’activent à creuser de nouveaux collecteurs d’eau. Les riverains saluent ce type d’infrastructures qui réduisent les risques d’inondation. Mais les travaux traînent, faute de moyens.
« L’aménagement des routes et des collecteurs représente un progrès important pour notre sécurité. Mais il est regrettable que l’exécution manque de célérité », déplore Hubert, habitant du quartier Mandaba.
En cause : la difficulté pour les entreprises, même titulaires de marchés publics, d’obtenir des crédits bancaires. Les banques rechignent à prêter, exigeant des garanties que les PME locales n’ont souvent pas.
« Même avec un marché en main, il faut se battre pour obtenir un crédit. Cela rallonge les délais et peut nuire à notre réputation », explique un entrepreneur local.
Un fonds de 10 milliards de francs CFA pour rassurer les banques
Pour remédier à cette situation, le gouvernement centrafricain a officiellement lancé un Fonds national de garantie et d’investissement. Doté de 10 milliards de francs CFA, ce mécanisme est soutenu par la Banque mondiale à hauteur de 3 milliards. Il vise à couvrir une partie du risque bancaire afin d’inciter les établissements financiers à accorder plus de crédits aux entreprises locales.
Selon Modibo Camara, expert du cabinet A2F Consulting chargé de la mise en œuvre du fonds :
« Le principal défi reste le manque de formalisation du tissu entrepreneurial. Le fonds vise justement à faciliter cette transition en rendant les PME plus crédibles aux yeux des banques. »
Une bouffée d’oxygène pour l’économie locale
À la Banque mondiale, on estime que ce dispositif pourrait être un catalyseur de croissance.
« Ce fonds répond à la principale contrainte des PME : l’accès au crédit. En les rendant plus éligibles au financement, on stimule l’investissement, l’emploi et la croissance économique », affirme Guido Rurangwa, représentant de l’institution.
Le gouvernement centrafricain voit dans ce projet un tournant économique majeur. Pour Hervé Ndoba, ministre des Finances et du Budget : « Ce fonds va réduire les risques pour les banques et faciliter l’accès au financement pour nos PME, TPE et PMI. C’est un outil nouveau dans notre paysage économique. »
Le secteur bancaire reste prudent, mais ouvert
Malgré l’enthousiasme, les établissements bancaires appellent à la prudence. Ali Chaïbou, directeur national de la BEAC en Centrafrique, souligne : « Le taux de crédit dépasse actuellement les 17 %, bien au-dessus de la moyenne sous-régionale. Les banques évoquent le risque comme principale justification. Avec ce fonds, il faudra suivre de près l’évolution des taux. Ils devront baisser si le risque diminue. »
Le lancement de ce fonds pourrait aussi encourager les entreprises informelles à se structurer, afin de bénéficier d’un meilleur accompagnement et d’accéder à des financements bancaires. Pour un tissu économique plus solide, plus formel et plus résilient.
Le défi est désormais double : faire vivre ce mécanisme sur le long terme et accompagner les PME dans leur structuration administrative et financière.
[ Cliquez sur l’image pour écouter l’intégralité du reportage de Jean-Fernand Koena, correspondant de la DW à Bangui ]