Lutter contre la précarité menstruelle, briser les tabous autour des règles et libérer la parole concernant un sujet dont beaucoup peinent encore à parler : c'est la mission que s'est donnée l'association Gouttes Rouges.
Pour y arriver, elle mise sur la sensibilisation, l'éducation, mais aussi des actions, avec, comme objectif, de garantir, à chaque personne menstruée, l'accès à une bonne hygiène menstruelle, ceci alors que la précarité menstruelle touche des millions de femmes dans le monde et notamment en Afrique.
C'est ce que nous explique Amandine Yao, militante féministe ivoirienne, présidente de l'association Gouttes Rouges, en Côte d'Ivoire.
Suivez l'entretien avec Amandine Yao de Gouttes Rouges
Bonjour Amandine Yao.
Bonjour !
La menstruation est un processus durant lequel l'utérus évacué du sang par le vagin. C'est un phénomène naturel alors comment expliquer qu’on a toujours du mal à en parler ?
Je pense que c'est très systémique quand on voit en fait le système patriarcal dans lequel nous sommes tout est dicté, tout est dans des cases, les femmes font ça, les hommes font ça.
Les femmes doivent être silencieuses, les hommes peuvent être bruyants.
Et je parle du silence parce que tout tourne autour de cette loi du silence.
On a appris en fait aux femmes à se taire, à ne pas se plaindre, à ne pas revendiquer, à ne pas trop parler.
Et je pense que c'est cette loi du silence qui continue jusqu'à aujourd'hui parce qu'on a mis les menstruations, vraiment dans une case de jardin secret : c'est quelque chose que tu vis pour toi et que tu ne peux pas partager.
Alors pourquoi est-il important de libérer justement la parole au sujet des règles ?
Il est important de libérer la parole sur les menstruations, tout simplement pour exister, pour qu'on sache qui on est, ce qu'on vit, ce dont on a besoin en tant que personne menstruée, on veut poser la question des règles sur la table politique.
L’intime et le privé sont politiques quand il s'agit de contrôler les naissances, quand il s'agit de décider de la sexualité des gens, mais quand il s'agit de poser des actions concrètes pour que les personnes menstruées partout dans le monde puissent vivre dignement les menstruations, il n'y a plus personne.
Mais là, nous, on vient aujourd'hui en libérant la parole, c'est vraiment une action qui vient charger de revendications et chargée d'envie d'exister, d'envie, de reconnaissance.
Et c'est aussi pour les générations futures, pour se réapproprier notre corps et se dire : « J'ai le droit d'en savoir plus sur ce que sont les règles, j'ai le droit de le vivre dignement. Et j'ai le droit d'en parler dans l'espace public parce que ce n'est pas quelque chose de sale, c'est naturel et la moitié de la population le vit. »
C'est vraiment important de libérer la parole aussi pour changer tout le narratif derrière.
Gouttes Rouges s'est donné pour mission de libérer cette parole. Quelles actions menez-vous dans ce sens sur le terrain?
Ce que nous faisons pour libérer la parole sur les menstruations, c'est vraiment d'organiser des groupes de discussion avec nos cibles directes qui sont les collégiennes et les lycéennes dans un premier temps et dans un second temps, toutes les femmes.
Nous avons une activité qui s'appelle Club rouge donc qui est l'activité principale de discussion avec les jeunes filles à l'école, nous avons un plaidoyer « Nouvelles règles « qui est vraiment pour amener les politiques à prendre en compte les besoin des lycéennes et des collégiennes pour mieux vivre leurs menstruations à l'école, nous avons un projet de solidarité qui s'appelle « Sororité rouge ». Et avec ce projet, nous collaborons avec les pharmacies ; nous mettons en fait à disposition des filles des protections dans les pharmacies et chaque fin du mois, elles peuvent passer en pharmacie récupérer leurs protections.
À côté de ça aussi, nous avons « Camp rouge, qui est aussi un espace de discussion, mais qui se passe uniquement en vacances où nous allons vers les jeunes dans quelques villes de l’intérieur du pays pour discuter de de la question. Nous avons aussi un festival, le tout premier festival en Afrique sur les menstruations, « Mes menstrues libres », que nous avons cofondé avec une autre association féministe.
Une autre question importante, c’est l'accès aux serviettes hygiéniques et autres protections pendant les règles. Est-ce qu'il y a eu des avancées pour les rendre plus accessibles ?
Il y a une grande prise de conscience au niveau de la société civile pour vraiment sensibiliser sur la question. Ce regain de prise de conscience, pour moi, c'est une avancée notable.
Quand on regarde dans la sous-région, on voit que le Ghana a rendu les protections gratuites pour les filles du primaire et du collège.
Et ça, c’est une avancée.
C'est le mois de mai, c'est « Mai Rouge » dans plusieurs pays, donc un mois où on va libérer la parole sur les menstruations, pour rappeler que la dignité menstruelle est un droit.