Informer sur la guerre à Gaza au péril de sa vie
12 août 2025Dans la bande de Gaza, la mort de plusieurs journalistes palestiniens dans une frappe délibérée et revendiquée par Israël continue à susciter des condamnations à l'international. L'Onu mais aussi l'Union européenne dénoncent un "meurtre" et une "grave violation du droit humanitaire international".
L'absence d'accès libre et indépendant pour la presse étrangère à l'enclave palestinienne reste une entrave majeure à la liberté d'informer sur cette guerre.
Parmi les 6 journalistes tués dimanche soir se trouvaient cinq membres d'Al Jazeera, dont l'un des plus célèbres correspondants dans l'enclave palestinienne.
Un message posthume sur X
"Lorsque ces mots vous parviendront, c'est qu'Israël aura réussi à me tuer et à faire taire ma voix" : c'est le texte qu'Anas al-Sahrif avait préparé au mois d'avril, et qui a été publié peu après sa mort, le dimanche soir 10 août, sur le réseaux social X.
Le jeune journaliste palestinien de 28 ans y raconte sa foi, rend hommage à sa famille, aux enfants palestiniens "qui n'ont jamais vécu dans la paix et la sécurité" dans une bande de Gaza ravagée, et dont il couvrait l'actualité au quotidien pour Al-Jazeera.
Anas al-Sahrif a été tué par une frappe israélienne avec quatre de ses collègues de la chaîne de télévision qatarienne. Ils se trouvaient sous une tente qui leur avait été assignée près de l'hôpital Al-Shifa, le plus grand établissement de santé de la ville de Gaza.
Al Jazeera dénonce une "attaque scandaleuse et délibérée contre la liberté de la presse".
Israël accuse Anas al-Sahrif de terrorisme
S'il est rare qu'Israël admette une attaque meurtrière contre des journalistes, dans le cas d'Anas al-Sahrif, l'armée israélienne a elle même annoncé une attaque ciblée, accusant le reporter d'être un "terroriste se faisant passer pour un journaliste de la chaîne Al Jazeera".
Il aurait été à la tête d'une cellule de l'organisation terroriste du Hamas et aurait été responsable d'attaques à la roquette contre des civils israéliens et des soldats israéliens.
Comme preuve, l'armée a présenté des documents présumés internes du Hamas.
Peu après la mort Anas al-Sahrif, la chaîne britannique BBC a expliqué que le journaliste avait travaillé pour l'équipe de communication du Hamas avant le début de la guerre en octobre 2023. Plus récemment, il avait toutefois critiqué le Hamas.
Absence de preuves "crédibles" selon le CPJ
Fin juillet, une rapporteuse spéciale de l'Onu avait exprimé sa profonde inquiétude face aux "menaces et les accusations répétées de l'armée israélienne contre Anas al-Sharif, le dernier journaliste d'Al Jazeera survivant dans le nord de Gaza".
Le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), une ONG de défense de la liberté de la presse, avait également fait état d'une "campagne de diffamation menée par l'armée israélienne". Le CPJ citait alors Anas al-Sharif : "Je vis avec le sentiment que je pourrais être bombardé à tout moment et devenir un martyr".
Après l'assassinat de l'équipe d'Al Jazeera, le CPJ a estimé que "la tendance d'Israël à dépeindre les journalistes comme des militants sans fournir de preuves crédibles soulève de sérieuses questions sur ses intentions ainsi que sur le respect de la liberté de la presse. Les journalistes sont des civils et ne doivent jamais être pris pour cibles".
Depuis le début de la guerre de Gaza, le CPJ a enregistré la mort de 186 journalistes.
Dans une interview à la DW, Martin Roux, de Reporters sans frontières (RSF), critique lui aussi une "campagne de diffamation destinée à justifier l'assassinat d'un journaliste". Il fustige le "blocus médiatique" érigé par Israël.
Le "journalisme embarqué"
Depuis l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre 2023 et de la guerre qui s'en est suivie, la presse internationale n'est pas autorisée à travailler librement dans la bande de Gaza.
En juin, plus de 200 médias ont exigé dans une lettre ouverte un libre accès à l'enclave palestinienne. Les images et les informations diffusées par les organes de presse dans le monde proviennent en grande majorité de journalistes et correspondants locaux.
Les autorités israéliennes ont ainsi a plusieurs occasions accusé les reporters palestiniens de manquer d'objectivité.
Seuls quelques médias, triés sur le volet, sont parfois autorisés à accompagner l'armée israélienne pendant quelques heures, ce sont les "journalistes embarqués", mais dont le contenu des reportages est soumis à une stricte censure militaire avant de pouvoir être diffusé.
Israël envisage de porter plainte contre le New York Times
Les rédactions dépendent donc des journalistes palestiniens, d'organisations comme Médecins sans frontières ou d'autres organisations humanitaires et de divers contacts à Gaza pour pouvoir rendre compte de la réalité sur le terrain. Les médias internationaux sont également pris pour cible à plusieurs reprises par le gouvernement israélien.
Le Premier ministre israélien Netanyahu a récemment déclaré qu'il envisageait une action en justice contre le New York Times. En juillet, le journal américain avait publié en couverture une photo d'un enfant souffrant de malnutrition extrême. Ce n'est qu'après la publication de l'article, que le quotidien a précisé avoir appris que l'enfant était également atteint d'une maladie préexistante.
Benjamin Netanyahu rejette l'accusation d'utiliser la faim comme une arme, bien que plusieurs organisations humanitaires accusent Israël d'être responsable du blocage de l'entrée d'aide humanitaire en quantité suffisante à Gaza.
Ce mardi (12.08), l'Union européenne, le Japon et le Royaume Uni dénonce la "famine" qui frappe les Gazaouïs.
Dimanche, le Premier ministre israélien a assuré que l'armée autorisera davantage de journalistes étrangers à entrer dans l'enclave afin qu'ils puissent se faire une idée des "efforts humanitaires d'Israël", mais aussi des "protestations civiles contre le Hamas". Il n'a en revanche pas précisé s'il s'agissait d'un accès libre et indépendant ou d'autoriser davantage de "journalistes embarqués".