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EconomieAfrique

Francophonie : quand la langue devient levier de coopération

Rodrigue Guézodjè
19 juin 2025

Alors que la mondialisation favorise les grands blocs économiques, la Francophonie mise sur ses atouts linguistiques pour bâtir des ponts commerciaux. À travers ses missions économiques, l’OIF tente de rapprocher les entreprises francophones. // Sortir de l’isolement pour relancer l’économie : tel est le pari de la RCA, qui place désormais ses routes au cœur de sa souveraineté économique.

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Depuis 2021, l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) multiplie ses missions économiques pour favoriser les partenariats d’affaires entre les entreprises francophones. Objectif : transformer le capital linguistique et culturel en opportunités économiques concrètes.

Mais au-delà des intentions, quels résultats concrets ?

Quels types de partenariats émergent ?

Et surtout : comment ces initiatives peuvent-elles contribuer au renforcement des économies africaines francophones entre elles ?

Des ponts entre voisins francophones

Pour Louise Mushikiwabo, secrétaire générale de l’OIF, ces missions permettent avant tout de créer des passerelles entre entrepreneurs qui, bien que proches géographiquement, ne se connaissent pas : « Ce qui est intéressant, c’est que plusieurs acteurs économiques de la même région ne se connaissent pas. Ces missions deviennent des moments d’introduction et d’échange entre pays parfois voisins, mais économiquement distants. »

Ce constat soulève un paradoxe : des pays partageant la même langue, les mêmes institutions régionales, parfois les mêmes défis de développement, mais très peu de commerce intra-francophone.

C’est ce vide que la Francophonie économique ambitionne de combler, en misant sur des échanges Sud-Sud structurés, fondés sur des affinités linguistiques et culturelles, mais surtout sur des logiques de marché.

Et les résultats commencent à parler d’eux-mêmes. Depuis leur lancement, les missions économiques ont facilité des rencontres ayant généré plus de 16 millions de dollars de contrats commerciaux, dans des secteurs comme l’agro-industrie, le numérique et les énergies renouvelables.

Lors de la 6ᵉ édition tenue à Cotonou (du 16 au 19 juin 2025), plusieurs accords importants ont été signés, notamment entre des entreprises africaines et européennes. « Nous avons une signature de contrat pour un montant de plus ou moins 30 millions d’euros entre une entreprise belge et une entreprise béninoise. Et d’autres contrats sont attendus dans l’énergie renouvelable et l’agro-industrie.», a expliqué Louise Mushikiwabo

Des chiffres encore modestes à l’échelle des échanges mondiaux, mais qui révèlent une tendance : la Francophonie économique devient un terrain de prospection concret pour les PME africaines, trop longtemps restées en marge des flux internationaux.

L’appel à une solidarité économique francophone

Pour Lionel Zinsou, économiste béninois, l’espace francophone doit aller au-delà de la culture et des mots pour devenir un bloc économique cohérent : « Il faut dépasser le rôle linguistique et culturel. Le fait d’avoir la même langue est utile, mais ce qui compte, c’est de construire de vraies solidarités économiques. Les anglophones, les lusophones le font. Les francophones doivent s’y engager pleinement. »

Ce passage à l’économique implique également un renforcement des liens Sud-Sud.
Car aujourd’hui encore, ce sont les PME africaines francophones qui tirent le moins parti de la mondialisation, faute d’accès aux marchés, de financements adaptés et de réseaux solides. Louise Mushikiwabo fait remarquer que « Certaines entreprises sont au tout début de leur parcours. Ce sont de très jeunes structures. Nous avons vu au Vietnam des start-up ivoiriennes ou burkinabè signer des contrats d’achat d’équipements agricoles. »

Pour ces jeunes entreprises, le défi ne réside pas uniquement dans la conquête de marchés, mais aussi dans leur structuration et leur capacité à attirer les financements disponibles. Ce que souligne également la secrétaire générale de l’OIF : « Il y a un vrai manque d’information sur les financements disponibles. Il y a aussi un besoin de formation sur la manière de présenter des projets bancables. Nous, à l’OIF, nous cherchons à guider les entreprises vers les opportunités de financement existantes. »

Le Vietnam, le Liban, le Cambodge… nouveaux partenaires du Sud

Autre réalité émergente : de nouveaux pays partenaires, non-africains mais francophones, prennent pied dans les échanges économiques Sud-Sud.
Pour Lionel Zinsou, des États comme le Vietnam ou le Liban s’imposent peu à peu comme des alliés naturels, notamment dans des secteurs de pointe : « Le Vietnam devient un partenaire important en matière d’agro-industrie, de télécoms, d’énergie. Dans le numérique et l’intelligence artificielle aussi. Penser les projets dans une même langue, avec un même référentiel, c’est un atout. »

La Francophonie économique ne pourra se contenter de grands sommets ou de déclarations d’intention. Elle devra reposer sur la structuration d’un véritable réseau d’entreprises, la qualité des projets portés par les acteurs du Sud et la volonté politique des États francophones de soutenir leurs champions économiques.

Car la langue est un point de départ. Mais c’est l’action économique partagée, ancrée dans les réalités et besoins des entreprises, qui fera émerger une vraie communauté francophone de prospérité.

[Cliquez sur l’image pour écouter l’intégralité du magazine]

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Isolée au cœur du continent africain, la République centrafricaine mise désormais sur l’un des piliers les plus tangibles de son développement : ses routes. Longtemps freinée dans sa croissance par un réseau routier vétuste, le pays multiplie les projets pour connecter ses régions entre elles, mais aussi s’ouvrir à ses voisins, tels que le Congo-Brazzaville, le Tchad ou encore l’Ouganda.

Au sud-ouest, dans la localité de Mongoumba, les travaux du Corridor 13, cofinancés par la Banque africaine de développement (BAD), ont démarré. Cet axe majeur vise à relier le Congo au Tchad en traversant la Centrafrique, et à stimuler les échanges dans une zone à fort potentiel agricole et forestier.

 « Je suis heureux de voir les engins et les techniciens chinois avec leurs machines, experts et bases vies, ici chez nous. Ce n’est pas de la fiction mais une réalité », témoigne Antoine, habitant de Mongoumba, visiblement optimiste.

Les populations locales voient dans ces chantiers une promesse d’intégration, de revenus et d’espoir.

À Bangui, une réhabilitation visible… mais lente

Dans la capitale, certains axes sont également réhabilités. Si les travaux en cours améliorent peu à peu la circulation, des voix s’élèvent pour demander une accélération du rythme et une exigence accrue de qualité. « C’est déjà un début positif qui nous permet de nous départir des nids de poule, sources d’accidents. Maintenant, il faut que ça s’accélère », explique Wilfried, un  motocycliste de la capitale centrafricaine.

Mais au-delà des délais, c’est la qualité des ouvrages qui interpelle. Plusieurs usagers dénoncent la fragilité des matériaux et l'insuffisance du contrôle technique, comme le rappelle le journaliste Christian Aimé Ndota : « Il y a des endroits où le goudron ne tient même pas deux mois. Il faut s’interroger sur les compétences réelles de certaines entreprises et sur le rôle de l’Office National du Matériel. »

Pour répondre à ces critiques, l’État a injecté près de 2 milliards de francs CFA dans l’équipement de l’Office National du Matériel (ONM). À PK24, en sortie nord de Bangui, une usine moderne de production d’enrobé est désormais opérationnelle. « On a désormais une bonne assise. Une fois le financement bouclé, on passera à l’enrobé », rassure Mathias Manot, directeur de l’ONM.

Autre axe stratégique : la coopération transfrontalière avec l’Ouganda. Le gouvernement centrafricain ambitionne d’ouvrir un nouveau corridor reliant les villes de Zémio, Bambouti et Obo, via le Soudan du Sud. Un projet évoqué par le président Faustin-Archange Touadéra, suite à une mission officielle à Kampala. « Ce corridor favorisera les échanges commerciaux entre nos deux pays », a-t-il déclaré, confirmant la volonté de désenclaver l’est du territoire, longtemps négligé.

Des routes pour soutenir la relance

Aujourd’hui, seuls 3 % des 26 000 kilomètres de routes centrafricaines sont bitumés. Le pays dépend donc largement de ses partenaires techniques et financiers pour réduire ce déficit.

Parmi eux, la Banque mondiale place la question des transports au cœur de sa stratégie 2025–2030 en RCA, comme l’a souligné Guido Rurangwa, représentant résident à Bangui : « Les infrastructures, notamment routières, représentent une priorité dans notre soutien au Plan national de développement du pays. »

Si les ambitions sont fortes, la réussite de ces projets passe par une amélioration de la gouvernance du Fonds routier, un renforcement du contrôle du tonnage pour limiter la dégradation précoce des routes et une plus grande coordination entre services techniques et partenaires.

Le développement des infrastructures routières apparaît ainsi non seulement comme un levier économique, mais aussi comme un vecteur de paix, d’inclusion territoriale et de stabilité pour la Centrafrique.

[Cliquez sur l’image pour écouter le reportage de Jean-Fernand Koena, le correspondant de la DW à Bangui.]

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Image : Ute Grabowsky/photothek.net/picture alliance

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