Au Mali, c'est une nouvelle crise politique qui s'installe peu à peu. Depuis plusieurs jours, les acteurs d’une coalition d’une centaine de partis politiques multiplient les initiatives pour contraindre les autorités de la transition au respect de la loi fondamentale. Ces partis demandent l’organisation d’élections démocratiques et s’opposent à toute décision qui viserait à mettre fin à leurs activités. A côté de ces partis, le collectif des jeunes pour le respect de la Constitution compte aussi se faire entendre. Aïssata Ly, milite dans ce regroupement en tant qu'actrice politique. Celle-ci se dit déterminée dans le cadre de la restauration des principes démocratiques au Mali. Elle répond aux questions de Mahamadou Kane, notre correspondant à Bamako.
DW : Aïssata Ly, bonjour
Aïssata Ly : Bonjour
DW : Aujourd'hui, vous militez dans le collectif des jeunes démocrates pour le retour à l'ordre constitutionnel. Qu'est-ce qui vous a poussé à vous engager ?
Alors, moi, j'ai toujours pensé qu'une régénération s'impose en ce moment sur le plan politique. Et cette régénération ne saurait se faire sans une implication massive des jeunes et particulièrement des femmes.
Mon constat est que dans le milieu politique, les femmes n'osent pas. Je me dis qu’en osant, en m'engageant, en faisant partie de ceux qui défendent les causes que je partage, eh bien je pourrais amener d'autres femmes, d'autres jeunes à s'engager également.
DW : Pourtant, la société civile ou encore les partis politiques, hormis quelques-uns, ont brillé par leur silence ces derniers temps. Quel rôle ce silence a-t-il joué, selon vous, dans la démarche des militaires au pouvoir ?
Je pense qu’à un moment, les partis politiques ont été assez muselés. Et bien évidemment, cela a empiété sur leur présence dans la sphère politique. Et lorsque les partis politiques ne sont pas là, ne se font pas entendre et jouent la politique de la chaise vide, eh bien, c'est clair que la sphère politique sera encombrée par d'autres acteurs. Et ce sont ces acteurs-là qu'on entend aujourd'hui et qui ont souvent un ton assez violent et qui sont dans une optique de défense radicale de tout ce que le régime en place fait. Et je pense que ce sont les partis politiques aussi qui ont occasionné ça.
DW : Aujourd'hui, les tensions entre l'écrasante majorité de la classe politique et les autorités de la transition autour de la révision de la charte des partis politiques, mais aussi la reconduction du président de la transition, le général Assimi Goïta pour un mandat de 5 ans renouvelable, divisent la population. Comme en face, il y a un risque de de répression ou d'arrestation, qu'est-ce qui vous permet de croire que vous aurez le dessus ?
Clairement, le Mali, c'est un pays de droit tout de même. Et c'est un pays qui a choisi une Constitution qui a été initiée par les autorités de transition et qui a été promulguée par le chef de l'Etat, le général Assimi Goïta en juillet 2023. Donc moi, je suis de ceux qui pensent, jusqu'à preuve du contraire bien évidemment, malgré les risques dans notre engagement, je crois qu’à un moment donné, il faudra faire face à ces choix. Il y a des risques de répression. Je vous le dis, on reçoit énormément de menaces, de pression quotidiennement, notamment sur les réseaux sociaux, à travers des messages privés sur nos téléphones et tout. Ce qui me permet de me dire que finalement c'est un combat que nous ne pourrons que gagner sur la durée. Eh bien c'est que nous sommes, je l'estime du côté de la vérité, du côté du droit, du côté des lois.
DW : Quelle est votre marge de manœuvre justement dans la bataille que vous avez engagée pour le respect de la Constitution et pour le retour à l'ordre constitutionnel ?
Jouir de nos droits civiques, nos droits civiques qui sont constitutionnels et qui nous permettent justement, en tant que citoyens maliens, de donner notre avis et d'aller au-delà de manifester. Aujourd'hui, nous avons lancé un manifeste que nous avons publié notamment sur nos réseaux sociaux pour inciter d'autres jeunes à le signer et à nous accompagner dans ce combat-là pour montrer que la jeunesse malienne, dans une certaine majorité quand même, tient à la République, tient à la démocratie, tient au multipartisme.
DW : Les autorités de la transition estiment de leur côté que la situation sécuritaire du pays ne favorise pas la tenue d'élections. Vous n'y croyez pas ?
Alors, nous avons quand même tenu un référendum. Nous avons choisi, nous les Maliens, de voter pour le Oui majoritairement. Et le Oui l'a emporté. Et cette Constitution a été promulguée par le chef de l'Etat. Donc, quand on me dit que c'est impossible de tenir des élections, non, ça je n'y crois pas.
DW : Au Tchad et plus récemment au Gabon, les militaires au pouvoir ont organisé des élections en espérant ainsi obtenir une légitimation. Comment jugez-vous cela ? Est-ce que c'est ce que vous voudrez que le général Assimi Goïta fasse ici ?
Je pense qu’au Tchad et au Gabon, les autorités ont su organiser les élections à temps. Il y a deux ans, si on avait fait la même chose au Mali, je pense qu'on ne serait pas dans cette crise-là aujourd’hui. Les autorités de transition ont laissé le temps passer et aujourd'hui ils sont face à un bilan, un bilan pour lequel les Maliens sont regardants. Vous voyez, la crise multidimensionnelle économique, elle est énergétique.
DW : Finalement, les Maliens iront aux élections, selon vous ?
Alors, ce que j'espère, c'est que les autorités ouvriront les voies pour un dialogue sincère avec toutes les forces vives de la nation, aussi bien les politiques que ceux de la société civile, pour qu'on aille aux élections et qu'on sorte de cette crise multidimensionnelle.
DW : Aïssata Ly, merci.
Merci.