L'Afrique perd des milliards de dollars chaque année
5 septembre 2025Au moins 88 milliards de dollars de pertes fiscales par an, en raison des opérations financières illégales : c’est à cette conclusion qu’a abouti la toute dernière étude des experts financiers de l’Union africaine (UA) sur les flux financiers illicites.
Un chiffre en augmentation de 76 % depuis le rapport, déjà historique, de 2015 du Groupe de haut niveau de la Commission économique pour l’Afrique de l’institution continentale. C’est en révélant cette inquiétante progression décennale que l’UA souhaite tirer la sonnette d’alarme.
Selon Christoph Trautvetter, coordinateur de l'association allemande "Netzwerk Steuergerechtigkeit", l'Afrique perd des milliards de dollars parce que "les géants du numérique et les négociants en matières premières déplacent leurs bénéfices vers des paradis fiscaux et que l'élite corrompue amasse de l'argent sur des comptes offshore anonymes".
RDC, Nigeria, Angola, les conséquences sont grandes
Le Camerounais Idriss Linge est responsable du plaidoyer pour le Tax Justice Network, basé à Bristol, au Royaume-Uni. Il reconnaît que les pertes fiscales touchent durement l'Afrique : "Les flux financiers illégaux existent dans le monde entier, mais l'Afrique est la plus touchée, alors que les ménages y sont déjà fortement sollicités", déclare-t-il à la DW.
Les pays riches en matières premières, comme le Nigeria, l'Angola et la République démocratique du Congo, sont les plus menacés, selon Idriss Linge.
"Les pays riches en ressources comme le Nigeria, l'Angola et la RDC sont les plus exposés. Rien qu'au Nigeria, des milliards sont perdus par le biais du transfert de bénéfices dans le secteur pétrolier. Cet argent pourrait fournir de l'eau potable à 500 000 personnes, des installations sanitaires à 800 000 personnes, une scolarisation à 150 000 enfants et sauver plus de 4 000 enfants chaque année grâce à de meilleurs soins de santé. Les flux financiers illicites ne sont pas abstraits, ils privent les gens de leurs droits", estime Idriss Linge.
L'argent manque également, par exemple, pour payer les enseignants et les médecins, renforcer la résilience climatique ou financer le développement.
Les recettes soustraites par l'évasion fiscale et les dettes élevées dues aux remboursements de crédits - les deux combinés - limitent de nombreux États africains dans leur politique budgétaire et fiscale.
Assécher les flux financiers illégaux serait donc aussi un pas vers plus de souveraineté pour les gouvernements.
Des instruments de lutte mis en place
Dans la lutte contre les transactions illégales, l'Union africaine a créé plusieurs instruments : en plus d'une plateforme de coopération panafricaine, plusieurs groupes de travail ont été créés. Ceux-ci s’efforcent de récupérer des actifs volés à l'étranger ou de contrôler des secteurs économiques comme l'exploitation minière, particulièrement vulnérable aux exportations non déclarées.
Au niveau national, de nombreux pays africains ont mis en place des cellules de renseignement financier ou des autorités fiscales spécialisées, s'accordent à dire les experts. Selon le rapport de l'UA, cela ne suffit cependant pas, car ces institutions ne seraient pas assez efficaces.
Le rapport de l'UA constate que les changements géopolitiques mondiaux des dix dernières années ont rendu l'Afrique encore plus vulnérable aux flux financiers illicites. Des facteurs importants ont eu un impact négatif, notamment la rivalité entre les États-Unis et la Chine, la pandémie de Covid-19, la guerre entre la Russie et l'Ukraine, ainsi que les conséquences géopolitiques du changement climatique.