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Le niveau d’éducation comme rempart à la violence ?

Jean-Michel Bos
23 janvier 2025

Une jeunesse éduquée est plus difficile à recruter par les groupes armés. Mais les conflits au Sahel et en RDC montrent que les raisons pour s'enrôler dans une rébellion sont multiples.

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Par une porte ouverte, on distingue une institutrice qui fait son cours devant une classe de primaire, en RDC, dans la province du Nord-Kivu, menacée par l'avancée des rebelles du M23 (illustration)
Une école primaire dans l'est de la RDC, dans la province du Nord-Kivu, en proie aux attaques du M23Image : Ruth Alonga/DW

Cet article fait partie de la série data journalisme de DW Afrique.

Depuis janvier 2020, les violences politiques au Mali, au Burkina Faso et au Nigeront causé la mort de près de 50.000 personnes. C'est environ deux fois plus qu'en République démocratique du Congo, où la situation sécuritaire dans l'est du pays est pourtant dramatique.

Dans le cas des trois pays du Sahel, la tragédie prend une dimension tristement ironique puisqu'entre 2020 et 2023, une succession de putschs a renversé les pouvoirs civils. Les militaires avaient alors justifié leur coup de force par la promesse de vaincre les groupes djihadistes qui prospèrent dans le Sahel.

Le Sahel semble confirmer une hypothèse assez intuitive : il existerait un lien entre le manque d'éducation et la prolifération de la violence.

Le Mali, mais aussi le Burkina Faso, le Niger et le Tchad accumulent en effet de lourdes carences éducatives. Dans ces pays, le taux de non-scolarisation à l'école primaire dépasse parfois 40%.

La marginalisation touche encore plus durement les femmes. Au Niger, selon les chiffres de la Banque mondiale de 2018, le taux d'alphabétisation des adultes (15 ans et plus) est de 44% pour les hommes et de 27% pour les femmes. Dans les campagnes, ce taux chute à 32% pour les hommes et 16% pour les femmes.

Or, une jeunesse peu éduquée aura du mal à trouver du travail, ce qui alimente les frustrations. Son manque d'éducation la rendra aussi plus facilement manipulable par les recruteurs djihadistes.

En 2004, deux chercheurs de l'université d'Oxford, Paul Collier et Anke Hoeffler, dans une étude intitulée Greed and Grievance in Civil War (La cupidité et les griefs dans la guerre civile), ont montré comment les frustrations d'une jeunesse sans avenir sont un terreau pour la violence.

En 2010, le chercheur australien Graham K. Brown a repris en partie cette thèse, dans Education and Violent Conflict (Education et conflits violents), en indiquant qu'il existe un ensemble de facteurs qui favorisent la rébellion, notamment "des taux élevés de chômage chez les jeunes hommes (…) car il y a plus de recrues potentielles pour lesquelles l'alternative est une vie de pauvreté".

Les Peuls et les Dogons du Mali

Le Mali est un bon exemple des frustrations d'une jeunesse en rupture scolaire qui se laisse recruter par les groupes djihadistes. Mais dans ce pays du Sahel, s'ajoute un élément ethnique.

Au 19e siècle, les éleveurs peuls islamisés étaient la communauté dominante dans une grande partie du Sahel. Les agriculteurs dogons ont dû se soumettre et une partie de cette communauté est allée se réfugier sur la falaise de Bandiagara : le pays dogon, non loin de Mopti, au centre du Mali.

Mais à partir de la fin du 19e siècle, la colonisation française a remis en cause la domination des peuls et au siècle suivant, les sécheresses des années 1970-1980, en réduisant le cheptel des éleveurs, ont fini de les marginaliser.

C'est ce "déclassement" que rappelle l'International Crisis Group (ICG), dans un rapport intitulé Enrayer la communautarisation de la violence au centre du Mali, publié en novembre 2020.

"Moins scolarisées que les communautés sédentaires, notamment dogon, les communautés d'éleveurs nomades ont moins profité des opportunités professionnelles (…) Ces évolutions ont creusé le fossé entre communautés nomades et sédentaires et suscité un climat local de rancœur."

Dès 2012, alors que les groupes djihadistes commencent à progresser depuis le nord du Mali, de nombreux peuls se joignent donc à eux pour prendre leur revanche. Ceux-ci ont, comme l'explique l'ICG, "le désir de renverser une tendance économique et politique qui les marginalise au profit des populations sédentaires".

Toutefois, l'explication ethnique ne suffit pas, car si, à partir de 2015, beaucoup de peuls ont rejoint le groupe djihadiste Katiba Macina, un certain nombre de dogons ont fait de même et ont combattu aux côtés des Peuls.

Les écoles prises pour cible

Mais la corrélation entre un système éducatif en mauvais état et la fréquence des conflits au Sahel n'implique pas une causalité. En réalité, les raisons sont multiples.

L'école elle-même, censée être un outil de progrès et d'émancipation, fait parfois l'inverse. Elle reproduit les discriminations qui entretiennent les rancœurs : entre les groupes ethniques, entre les sexes, ou entre les langues.

Au Cameroun, la guerre civile, qui dure depuis 2017, repose ainsi sur un grief linguistique : les populations des deux régions anglophones du pays se sentent discriminées. Dans ce théâtre de violences, les écoles sont alors souvent prises pour cible.

En élargissant les recherches à d'autres pays, il apparait donc que le faible niveau d'éducation n'est pas la seule explication à la prolifération des groupes armés.

Ainsi, en République démocratique du Congo et au Cameroun, les statistiques en matière d'éducation sont bonnes : les deux pays enregistrent un taux d'alphabétisation de 77%, tandis que le taux de non-scolarisation en primaire est de 11% en RDC et de 8% au Cameroun.

En dépit de ces bons résultats, ces deux pays sont ravagés par la violence. Au Cameroun, plus de 9.500 attaques ont été répertoriées depuis cinq ans par l'Acled, une organisation qui recense les conflits dans le monde. 

A elle seule, la RDC a enregistré plus de 26.000 morts dans des violences politiques (attaques, violences contre les civils...) depuis janvier 2020.

Paul Collier et Anke Hoeffler, de l'université d'Oxford, ne parlaient pas uniquement de "griefs" dans leur étude, mais aussi d'avidité : selon eux, on ne rejoindrait pas une rébellion uniquement par dépit, mais aussi dans l'espoir de s'enrichir. Selon les deux chercheurs, de nombreuses rébellions sont liées à la "capture de ressources", comme la drogue en Colombie ou le cobalt en RDC.

Dans l'est de la République démocratique du Congo, les offensives des rebelles du M23, soutenus par le Rwanda, visent ainsi le contrôle des minerais de la région, essentiellement de l'or, du coltan, du cobalt et des diamants.

Selon le rapport des experts des Nations unies sur la RDC, le M23 génèrerait déjà environ 300.000 dollars de revenus par mois grâce aux taxes prélevées sur la production de coltan dans les territoires de Masisi et de Rutshuru.

En avril 2024, le M23 s'est emparé de la ville minière de Rubaya, où se trouvent d'importantes réserves de coltan, un minerai stratégique pour la transition énergétique.

Les experts des Nations unies affirment que le M23 a passé une alliance avec le groupe armé Coalition des patriotes résistants congolais-Force de frappe (Pareco-FF) pour exploiter les sites miniers de la région de Rubaya. 

Désormais, le M23 progresse dans la province du Sud-Kivu, en direction de la cité minière de Numbi.

Dans l'est de la RDC, le désir de contrôler les richesses minières de l'est du pays s'impose donc, encore et toujours, comme l'autre carburant qui, au côté des frustrations de la jeunesse, alimente la violence des groupes armés.

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Jean-Michel Bos Journaliste au programme francophone de la DW.JMBos