Crise diplomatique entre la Belgique et le Rwanda
19 mars 2025Ce lundi (17.03.2025), le Conseil européen a finalement décidé de sanctionner des fonctionnaires rwandais pour leur rôle dans la crise dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC). L'UE accuse le Rwanda d'alimenter le conflit en stationnant des troupes dans l'est du pays voisin.
La réaction du Rwanda a été prompte et particulièrement dure. Le pays a rompu ses liens diplomatiques avec la Belgique et a ordonné aux diplomates belges de quitter le sol rwandais sous les 48 heures suivant la décision.
Le ministère rwandais des Affaires étrangères a déclaré dans un communiqué que la Belgique avait "clairement pris parti dans un conflit régional, continue à se mobiliser systématiquement contre le Rwanda dans le but de déstabiliser à la fois le Rwanda et la région".
Le rôle de la Belgique dans la prise des sanctions
La décision de l'UE fait suite à des semaines de discussions internes, les Etats membres étant divisés sur la manière de se positionner vis-à-vis du Rwanda. La Belgique est apparue comme l'Etat européen qui défend avec le plus d'ardeur, la prise de sanctions.
"Des discussions ont eu lieu sur les différentes sanctions et sur la forme qu'elles pourraient prendre, et la Belgique a clairement joué le rôle de chef de file dans ce domaine", affirme Kristof Titeca, professeur à l'Université d'Anvers.
Dans une interview exclusive accordée à la DW, le ministre belge des Affaires étrangères, Maxime Prévot rejette l'accusation de deux poids deux mesures, indiquant que la démarche était "avant tout pour le droit international, quel que soit l'endroit du territoire mondial où celui-ci est mis à mal. C'est ce qui explique la position de la Belgique au niveau de l'Ukraine, au niveau du Moyen-Orient, mais aussi au niveau de la région des Grands Lacs".
La Belgique a aussi décidé de prendre des mesures similaires contre les diplomates rwandais en mission en Belgique.
Quel rôle joue le passé colonial ?
Pourquoi la Belgique a-t-elle été aussi engagée dans l'adoption de sanctions ? Certains critiques soutiennent que la Belgique, en tant qu'ancienne puissance coloniale de la RDC, pourrait se sentir obligée de prendre position contre le Rwanda en raison d'un sentiment de culpabilité coloniale. Cependant, l'expert Kristof Titeca souligne que si ce sentiment a pu avoir une certaine influence, il ne peut en aucun cas tout expliquer, d'autant plus que le Rwanda lui-même était autrefois une colonie belge.
Quelle efficacité pour les sanctions ?
Les sanctions de l'UE visent à faire pression sur le Rwanda. Considéré comme un modèle de réussite économique sur le continent africain, le Rwanda dépend pourtant encore largement de l'aide étrangère. Plus d'un tiers de son budget provient de l'aide internationale, selon Kristof Titeca. L'expert doute cependant que ces sanctions suffisent à mettre un terme au conflit en cours.
Les sanctions visent principalement des acteurs liés au gouvernement rwandais et des responsables de la coalition rebelle AFC-M23. Mais elles ne concernent pas les accords ou l'aide au développement de l'UE.
Les relations UE-Rwanda
Les Etats de l'UE étaient divisés sur la manière d'agir face au Rwanda. Kristof Titeca souligne que certains à Bruxelles plaidaient en faveur d'un renforcement des liens avec Kigali, privilégiant le modèle de réussite rwandais. L'année dernière, l'UE a signé un accord avec le Rwanda pour renforcer la coopération dans le secteur minier, en mettant l'accent sur les matières premières rares.
L'Union européenne ira-t-elle jusqu'à rompre le MOU, l'accord de coopération qui lie l'Union européenne au Rwanda sur la livraison de matières premières critiques désignées les "3T" (étain, tungstène, tantale) ? Maxime Prévot, le ministre belge des Affaires étrangères n'en est pas convaincu.
"L'honnêteté m'impose de vous dire que sur la question du MOU, sur les matières premières critiques, il n'y a pas une unanimité de vue du côté européen" précise à la DW le ministre.
"La Commission européenne reste assez réfractaire à l'idée de le suspendre. Nous-même et d'autres pays considérons que c'est juste du bon sens de le suspendre, puisque on doute des capacités de vouloir le faire respecter. Parce que ça imposerait une traçabilité, évidemment, des minerais qui auraient tendance à révéler alors leur provenance. Et probablement que ça ne ferait pas les affaires du Rwanda pour une partie significative de ces minerais", affirme par ailleurs le ministre Prévot.
Kristof Titeca suggère que pour être efficace, l'UE devrait prendre d'autres mesures, telles que l'annulation des accords de coopération ou la réduction de l'aide étrangère, mais il doute que cela se produise. "Le monde a changé. Nous ne sommes plus l'UE que nous étions il y a 10 ou 15 ans... Les diplomates occidentaux, qu'ils soient de l'UE ou des États-Unis, hésitent beaucoup plus à exercer une pression internationale ou à prendre des sanctions", analyse l'expert.