La campagne cotonnière 2024-2025 a été particulièrement éprouvante pour les pays de la zone CFA. Selon les chiffres du Programme régional de production intégrée du coton en Afrique (PR-PICA), la production de coton graine est passée de 2,6 millions de tonnes à 2,3 millions, soit une chute de 11,5 %. En cause : une météo capricieuse, des infestations parasitaires persistantes et des défis techniques encore mal maîtrisés dans plusieurs pays.
Mais l’Afrique de l’Ouest ne baisse pas les bras. Certaines nations tirent leur épingle du jeu et des efforts sont en cours pour bâtir une résilience durable.
Une météo imprévisible et des ravageurs tenaces
L’un des premiers facteurs de cette contre-performance est la pluviométrie instable.
« Les pays n'ont pas enregistré de pluies au moment des semis, ce qui a entraîné une diminution des superficies emblavées. Par ailleurs, certaines zones ont connu des inondations qui ont compromis les cultures en place », explique Tété Awokou, président du Programme régional de production intégrée du coton en Afrique.
À cela s’ajoutent des attaques répétées d’un parasite redouté, le jacide Amraska biguttula, apparu dans la région il y a plusieurs années. Cette campagne, il a fait des ravages, forçant les producteurs à multiplier les traitements.
« Certains ont été découragés, car même après plusieurs applications, les résultats restaient mitigés », souligne Tété Awokou.
Des pistes de solution déjà en action
Face à ces défis, le PR-PICA n’est pas resté inactif. En partenariat avec des firmes phytosanitaires, le programme a identifié des matières actives efficaces, désormais vulgarisées dans les pays membres.
« L'utilisation de ces solutions permet de mieux contrôler les ravageurs et d’atténuer leur impact sur le rendement », affirme le président du programme.
Mais la lutte ne s’arrête pas aux produits chimiques. Le programme variétal du PR-PICA mène actuellement des croisements génétiques pour développer des variétés résilientes, capables de supporter à la fois les effets du changement climatique et les attaques parasitaires.
Bénin et Sénégal : des modèles de résilience
Dans ce tableau globalement morose, deux pays affichent une performance positive :
- Le Bénin progresse de 6,4 %, atteignant 637 697 tonnes,
- Le Sénégal signe une envolée spectaculaire de 19,4 %, avec 15 514 tonnes produites.
Selon Tété Awokou, ces bons résultats s’expliquent par un respect rigoureux des itinéraires techniques, un suivi de proximité des producteurs, et surtout une application disciplinée des recommandations du PR-PICA.
Former, encadrer, fertiliser
Pour inverser la tendance dans les pays les plus touchés, des actions concrètes sont indispensables.
« Il faut renforcer la formation des producteurs, assurer un bon apport en engrais organiques et minéraux, respecter les périodes d’application, et surtout maîtriser la lutte phytosanitaire », insiste le président du PR-PICA.
Mais il insiste aussi sur la mobilisation de tous les acteurs de la filière, des encadreurs aux institutions de recherche, pour créer un écosystème résilient.
Le coton fait vivre des millions d’agriculteurs en Afrique de l’Ouest. Au-delà des chiffres, c’est donc l’avenir d’une filière stratégique pour l’économie rurale, la sécurité alimentaire et la souveraineté industrielle qui est en jeu.
Le PR-PICA le rappelle : la clé du redressement se trouve dans l’anticipation, l’innovation et la rigueur technique.
« Nous poursuivons les recherches pour proposer des variétés tolérantes aux parasites et adaptées aux effets du climat. Notre objectif reste de garantir une filière forte et durable », conclut Tété Awokou.
À l’heure où les défis climatiques et sanitaires se multiplient, la filière cotonnière ouest-africaine montre qu’elle peut s’adapter. Les succès béninois et sénégalais en sont la preuve : avec méthode, innovation et coopération, l’espoir d’une remontée durable est bien réel.
[ Cliquez sur l’image pour écouter l’audio de l’interview de Têtê Awokou ]
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Dans la Kadey, département enclavé de la région de l’Est Cameroun, les défis humanitaires s’accumulent. L’afflux continu de réfugiés venus de la République centrafricaine, combiné à la présence de nombreux déplacés internes, rend la situation particulièrement difficile pour les populations vulnérables — en particulier les femmes.
Mais une initiative économique originale insuffle un vent d’espoir : le programme Cash for Work. Lancé dans plusieurs régions du pays et soutenu par la coopération allemande, ce mécanisme d’appui financier conditionnel transforme la vie de femmes réfugiées, déplacées ou en situation de handicap, en leur offrant un emploi rémunéré à court terme et des perspectives d’autonomie durable.
Un modèle d’inclusion fondé sur le travail
À Boubara, Sadatou, réfugiée centrafricaine d’une cinquantaine d’années, est aujourd’hui le point focal du programme. Elle en connaît tous les rouages : « Ce sont les femmes les plus vulnérables qui ont été retenues. Après les travaux communautaires, elles ont utilisé l’argent reçu pour lancer de petites activités : vente de beignets, bouillie, haricots… D’autres ont pu acheter des tôles pour construire un toit. Même des enfants ont pu être déclarés à l’état civil », raconte-t-elle.
Chaque bénéficiaire reçoit 75 000 FCFA après 37 jours de travail rémunéré. Un total de 150 millions de FCFA a déjà été distribué dans les localités de Batouri, Kette, Kentzou et Ouli, apportant une bouffée d’oxygène économique à des centaines de ménages.
Créer une activité, retrouver sa dignité
Absatou Mbe, également réfugiée centrafricaine, fait partie des bénéficiaires. « On nettoyait les routes, on nous payait par tranche. Avec ce que j’ai reçu, j’ai acheté un mouton pour lancer un élevage. C’est pour l’avenir de mes enfants », confie-t-elle.
L’ambition de Cash for Work va bien au-delà de l’assistanat. Le programme mise sur la responsabilité, l’autonomie et la solidarité communautaire. Dans plusieurs localités, les femmes bénéficiaires se sont regroupées en coopératives mixtes — réunissant réfugiées et Camerounaises — pour mutualiser leurs efforts et renforcer la cohésion sociale. « On travaille ensemble, on va au champ ensemble. Il n’y a pas de différence entre nous », témoigne Aissatou Fabila, une habitante camerounaise du quartier.
Un appui technique et humain
Encadré par plusieurs ONG partenaires et appuyé techniquement par des experts de la coopération allemande, le programme favorise la structuration locale.
Sadatou, désormais présidente de la coopérative Cohésion sociale, raconte : « Ils ne nous ont pas donné de l’argent, mais ils nous ont formées à gérer par nous-mêmes. Aujourd’hui, chacune cotise 100 FCFA, on s’entraide et on avance. »
L’impact du programme dépasse le simple apport financier. Il agit comme un levier psychologique, redonnant confiance à des femmes souvent stigmatisées ou marginalisées
Résilience et inclusion : une réponse concrète aux crises
Cunégonde Mbong, 38 ans, a perdu l’usage de ses jambes dans un accident de moto. Veuve et mère de cinq enfants, elle raconte : « Les gens se moquaient de moi. Puis une voisine m’a invitée à rejoindre leur coopérative. J’ai reçu une aide, et aujourd’hui je vends du pain, des biscuits, je tiens une petite caisse. »
Le succès du programme repose aussi sur un effet multiplicateur. Dans certaines zones, les premières bénéficiaires recrutent désormais d’autres femmes vulnérables pour les associer à leurs petites activités. « Quand une femme réfugiée arrive, on va vers elle, on lui explique notre fonctionnement, on l’intègre. Même si c’est une Camerounaise, elle est la bienvenue », insiste Sadatou.
Un modèle à pérenniser malgré les défis
Le tissu économique local, affaibli par les crises successives, commence lentement à se régénérer. Mais la stabilité du programme reste dépendante de financements extérieurs. Par ailleurs, l’insécurité dans certaines zones rurales demeure un obstacle.
Malgré tout, Cash for Work s’impose comme un modèle d’inclusion économique efficace, capable d’amorcer des dynamiques de résilience au cœur même des crises humanitaires.
Derrière chaque billet gagné grâce à Cash for Work, il y a une histoire de résilience, de courage et d’espoir retrouvé. Une preuve concrète que l’économie solidaire, bien pensée et bien exécutée, peut changer des vies — même dans les contextes les plus fragiles.
[Cliquez sur l’image pour écouter le reportage d’Elisabeth Asen, la Correspondante de la DW à Yaoundé]