Cameroun : le rôle des chefs traditionnels dans la politique
11 août 2025Au Cameroun, alors que la présidentielle du 12 octobre approche, la société est écartelée entre les tendances politiques. De nombreux chefs traditionnels sont soupçonnés de rouler pour le pouvoir politique en place à Yaoundé. Ceux qui ne font pas allégeance au pouvoir courent ainsi de grands risques.
Mais le légendaire Roi des Bamendjou dans l'Ouest du Cameroun, Sokoudjou Jean Rameau, prend position et appelle à l'union de l'opposition pour le 12 octobre.
Ainsi, aucune présidentielle n'avait tant charrié de tensions préélectorales au Cameroun. L'heure est aujourd'hui à la controverse après le rejet définitif de la candidature du leader de l'opposition Maurice Kamto.
Dans cette ambiance, les prises de position politique se multiplient. Quant aux chefs traditionnels, la plupart d'entre eux observent le silence tandis que d'autres se sont rendus à Yaoundé ces derniers temps pour faire allégeance au pouvoir central, bien tenu par le candidat Paul Biya.
Des chefs désignés par l'administration
Le professeur Jean Baptiste Nzogue, historien et Enseignant-Chercheur à l'Université de Douala définit la position des chefs traditionnels dans le contexte politique camerounais.
Selon lui, "le chef traditionnel en tant qu'auxiliaire d'administration n'a véritablement pas de mot d'ordre à donner à ses administrés. Une chose qui réduit l'autorité des chefs traditionnels auprès de leurs administrés, c'est que plusieurs sont parvenus à cette position non pas comme l'émanation de la volonté de leurs communautés ni des ancêtres, mais plutôt comme le choix de l'administration qui les a positionnés afin de mieux contrôler les communautés sur lesquels ils sont établis".
Sa Majesté Sokoudjou Jean Rameau, roi des Bamendjou dans l'ouest du pays, fait plutôt partie des chefs frondeurs qui ont connu la lutte pour l'indépendance et les drames de l'opposition au pouvoir central. Il s'oppose ouvertement au régime de Paul Biya. Sa Majesté Sokoudjou a d'ailleurs reçu le 3 août dernier une coalition de leaders politiques à la recherche d'un candidat unique pour affronter le président de 92 ans, le 12 octobre.
"Moi, le Chef Sokoudjou, je demande à tous les Camerounais dont vous êtes les messagers, les porte-paroles, de s'entendre en un seul homme, explique-t-il. Entendez-vous pour faire partir Biya. Il suffit que vous vous entendiez pour mettre une seule personne devant Biya. Lui-même, il va aller se reposer sans qu'on ne le lui demande".
Le Cameroun compte environ 17 000 chefferies traditionnelles structurées en près de 90 chefferies de 1er degré, 862 chefferies de 2ème degré, et environ 16 000 chefferies de 3ème degré.
Paul Biya, chef des chefs traditionnels
Paul Biya est le chef des chefs traditionnels, le "Nnomgui", intronisé comme tel à travers le Cameroun, dès son arrivée à la magistrature suprême le 6 novembre 1982.
Le professeur Jean Baptiste Nzogue rappelle que "dans l'histoire, notamment avant l'occupation coloniale européenne, le chef traditionnel au Cameroun était un véritable leader politique, dont la légitimité et l'autorité étaient établies au sein de la communauté. D'ailleurs dans les différentes phases de la rencontre avec l'Europe, ce sont ces chefs qui ont mené des négociations au nom de leurs communautés, tant sur le plan commercial que sur le plan politique. Certains de ces chefs ont résisté à l'occupation coloniale".
Le pouvoir politique postcolonial a renversé la situation, faisant des chefs traditionnels des suppôts et supporters du Chef d'Etat -roi. Certaines régions et chefs traditionnels du Cameroun, comme le Centre où se situe Yaoundé la Capitale, le Sud dont Paul Biya est originaire, et la partie septentrionale, se sont toujours montrées dociles à Paul Biya.
D'autres régions en revanche, comme l'Ouest de Sa Majesté Sokoundjou Jean Rameau, et le Nord-Ouest anglophone, tout comme le Littoral avec Douala, sont historiquement réputées frondeuses, face au pouvoir de Paul Biya autant qu'au temps colonial.