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"Les Camerounais savent qui sont les véritables opposants"

24 juillet 2025

L'analyste Aristide Mono se prononce sur la multitude de candidatures enregistrées par l’organe électoral, en vue de l’élection présidentielle du 12 octobre prochain.

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Paul Biya le président sortant, le 13 décembre 2022  à Washington
Plus de 80 personnalités dont Paul Biya ont fait acte de candidature à la présidentielle du 12 octobreImage : Jemal Countess/UPI/newscom/picture alliance

82 dossiers ont été enregistrés par Elecam, l'organe chargé de mener le processus électoral au Cameroun. Parmi les postulants, on retrouve le président sortant, Paul Biya, 92 ans, et candidat du RDPC. Ses principaux challengers sont Maurice Kamto, candidat du Manidem, Joshua Osih, du SDF, ou encore Cabral Libii.

Pourquoi autant de candidautes ? Aristide Mono, analyste politique camerounais, répond aux questions de la DW. 

 

DW : Plus de 80 candidatures déclarées, comment expliquez-vous cette multitude de candidatures ?

Aristide Mono : Je crois que cela traduit tout simplement l'état de cacophonie qui anime le paysage politique camerounais, avec la grosse difficulté à obtenir des consensus autour des têtes de l'opposition. Cela trahit également une certaine légèreté avec laquelle certains acteurs politiques prennent l'activité électorale, c'est à dire qu'on a l'impression que nous sommes complètement dans une logique de flagornerie politique, dans la mesure où plusieurs de ces candidats, sont bien conscients du fait que leurs candidatures seront rejetées. On a donc l'impression que c'est beaucoup plus du spectacle que du sérieux. Dans cette logique de multiplication des candidatures qu'on peut considérer comme des candidatures fantoches, parce qu'il faut rappeler que, au regard de la loi électorale, l'article 121 du code électoral, il n'y a que 18 partis politiques qui sont éligibles à présenter une candidature à la présidentielle. Le reste est astreint à la présentation des 300 signatures, chose qui est généralement difficile pour les candidats indépendants. Je crois que c'est beaucoup plus pour des besoins de médiatisation et aussi pour étoffer probablement leur CV le moment venu, au cas où ils sont dans une situation de demande d'asile politique.

DW : Alors est-ce que cette multitude de candidatures ne peut pas aussi être interprétée comme un désir de changement de la part de nombreux camerounais ?

Aristide Mono : Pour nous autres qui faisons le terrain, qui avons parcouru presque les dix régions du Cameroun en moins de six mois, pour appeler les Camerounais à s'inscrire sur les listes électorales, on peut vous dire que parmi ces multiples candidats, il n'y a peut-être que six, qui ont eu à faire le terrain et qui sont restés assidus dans le champ politique camerounais pendant l'intersaison électorale, c'est à dire la période entre la dernière élection présidentielle et la période actuelle. La plupart de ceux qui se présentent aujourd'hui comme candidats sont des incognitos. Ce sont, ce qu'on peut qualifier d'hirondelles politiques ou de saisonniers politiques, qui sont beaucoup plus dans une logique de théâtralisation que dans un sérieux affirmé de pouvoir changer quoi que ce soit. Lorsqu'on veut changer, je crois qu'on attend pas à la dernière minute et surtout arriver avec des prétentions qui ne vont jamais se confirmer ou alors se consolider.

Aristide Mono répond aux questions de la DW

DW : Alors comment espérer battre le président Paul Biya avec autant de candidatures ?

Aristide Mono : L'électorat camerounais ne considère pas du tout toutes ces candidatures. Les Camerounais sont conscients et sont assez avisés. Ils maîtrisent bien qui sont les véritables leaders du champ oppositionnel dans notre pays. Les électeurs camerounais maîtrisent bien les enjeux, ils maîtrisent les figures donc on ne peut pas se fier à toute cette multitude de candidatures pour penser qu’il y a émiettement des voix ou alors un certain fractionnement du champ oppositionnel politique camerounais. Donc, les leaders confirmés du champ oppositionnel sont connus. On a des noms comme Maurice Kamto, Joshua Osih, Cabra Libii, Ndam Njoya et Monsieur Celestin Ndjamo. Les Camerounais ont eu le temps d'apprécier le déploiement des uns et des autres. Donc, ce n'est pas la multitude qu'on observe aujourd'hui qui viendra peut-être relativiser l'idée que les Camerounais ont déjà du sérieux de ce qu’eux, ils considèrent comme véritables opposants au Cameroun. La multiplication de ces candidatures n'aura aucun effet, aucun impact sur l'idée que les Camerounais se font depuis sept ans des acteurs politiques pertinents de notre scène politique.

DW : Certaines personnalités politiques, comme Edith Kah Walla, ne croient pas du tout en la crédibilité de ce scrutin présidentiel... disent que le processus est verrouillé et que seule la rue pourra faire partir Paul Biya du pouvoir. Comment réagissez-vous à cela ?

Aristide Mono : Nous tous, nous sommes conscients du fait qu’il y a une certaine fermeture des circuits, des expressions politiques au Cameroun. Les libertés de presse et les libertés politiques sont totalement bâillonnées. Le système et le régime électoral sont quasiment acquis à la cause de l'ogre dominant. Mais, toujours est-il que l'opposition a à sa portée des voies qu'elle peut facilement exploiter pour mettre en déroute ce mauvais paramétrage du jeu électoral. On a par exemple, la question de la surveillance des voix dans les bureaux de vote. On a également le fait que les acteurs politiques peuvent mobiliser le peuple pour défendre plus tard leur victoire. Donc si on ne tient pas compte de cela, on peut dire que le jeu est faussé d'avance et que l'élection à venir est quasiment inutile pour l'opposition. Mais, nous comprenons bien la position de Madame Édith Kah Walla et donc d'autres acteurs qui pensent qu’il faut tout simplement la contestation pour venir à bout de l'ogre dominant. Mais toujours est-il qu'on ne s'engage pas dans cette voie sans avoir épuisé préalablement les voies qui s'offrent à nous pour pouvoir mettre en déroute, le système vicié qui a été paramétré par monsieur Biya.

Georges Ibrahim Tounkara Journaliste au programme francophone de la Deutsche Welle