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"Les Guinéens doivent se réconcilier avec la politique"

20 août 2025

Interview avec le Premier ministre guinéen, Amadou Oury Bah, à un mois du référendum constitutionnel en Guinée.

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Notre invité de la semaine est le Premier ministre de Guinée, Amadou Oury Bah.

Le 21 septembre prochain, les Guinéens sont appelés aux urnes pour se prononcer par voie référendaire sur le projet de nouvelle Constitution. Si celle-ci est adoptée, le mandat présidentiel passera de cinq à sept ans, renouvelable une seule fois. 

Le projet prévoit également que tout candidat à l’élection présidentielle doit être de nationalité guinéenne, mais qu’il peut parallèlement détenir un passeport d’un pays tiers. Une disposition que l’opposition juge taillée sur mesure pour le général Mamadi Doumbouya, qui posséderait un passeport français.

Dans cette interview exclusive accordée à la DW, le Premier ministre Amadou Oury Bah défend cette réforme, affirmant que la reconnaissance de la double nationalité permet à tous les Guinéens de participer à la vie de la Nation.

Un homme portant un masque anti-Covid glisse son bulletin dans une urne lors de la présidentielle de 2020 en Guinée (archive)
Depuis les années 1990, les Guinéen.ne.s n'ont jamais été consultés sur un projet de nouvelle constitutionImage : Cellou Binani/AFP

Suivez l'entretien exclusif de la DW avec Bah Oury


DW : Le projet de nouvelle Constitution adopté par le Conseil national de transition sera soumis à un vote référendaire le 21 septembre prochain. C'est la première fois depuis 1990 que les Guinéens sont consultés par référendum sur une nouvelle constitution. Pourquoi le "oui" devrait l'emporter, selon vous ?

Bah Oury :  D'abord, il faut dire que dans la méthodologie que nous avons empruntée, nous n'avons pas voulu d'une proposition constitutionnelle qui soit envoyée comme, disons, "c'est à prendre ou à laisser".

Nous avons souhaité que la population s'approprie ce texte fondamental pour connaître ses droits et avoir une conviction que la stabilité institutionnelle du pays, et aussi la stabilité politique, dépendent de la capacité de la population à assurer le maintien de cette institution politique.

Je veux dire simplement : Sauvegarder un texte, sauvegarder une Constitution, c'est la société qui doit prendre en charge la défense de ses droits et de ses valeurs. D'où la nécessité que les Guinéens s'approprient d'abordle texte pour connaître leurs droits et pour être en mesure aujourd'hui, demain et après-demain, de dire à n'importe quel pouvoir qui sera en situation de responsabilité : "Voilà ce que vous devez faire. Si vous ne faites pas cela, vous êtes en train de violer nos droits constitutionnels". 
Et je pense que la question de la liberté et de la démocratie, c'est cette appropriation par les collectivités nationales de ces droits.

Dès qu'on aura ça, le reste se passera avec beaucoup d’aisance.  Maintenant le oui ou le non ? Pour le moment, je préfère ne pas me prononcer, mais ce qu'il faut dire simplement, c'est que le projet constitutionnel est le fruit des leçons tirées de notre histoire tumultueuse de ces six dernières décennies. En d'autres termes, depuis l'indépendance : pourquoi n'avons-nous pas avancé ? Pourquoi une instabilité chronique ? Pourquoi les communautés se regardent en chiens de faïence ? Que faut-il faire pour assurer désormais cette unité, cette cohésion et, dans le cadre, disons, d'un État de droit ? C'est cela qui a été transcrit dans le projet constitutionnel.

Donc a priori, je ne peux pas douter que les Guinéens sauront exactement ce qui va dans le sens de l'intérêt collectif et de l'intérêt du pays tout entier.
 
DW : Le projet de nouvelle Constitution fait apparaître des nouveautés comme la création d'un Sénat en plus de l'Assemblée nationale. La diaspora guinéenne sera-t-elle représentée au Parlement ou au Sénat ?
 

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À tous les niveaux, la diaspora sera représentée parce que c'est un droit. Si l'approbation est massive le 21 septembre, la diaspora, c'est-à-dire les communautés guinéennes à l'étranger, a des droits constitutionnels qui lui sont reconnus et sa représentation à tous les niveaux doit être assurée.

Et ça, ce ne sera plus un désir ou une volonté singulière d'un gouvernement, ce sera un droit constitutionnel reconnu à la communauté guinéenne résidant à l'étranger.
 
DW: La future Constitution rend aussi la scolarité gratuite et l'école obligatoire. Il y a aussi la couverture maladie universelle. Mais comment les autorités peuvent garantir l'application intégrale de ces dispositions ?
 Cela aussi est un défi. C’est une obligation d'assurer une meilleure gouvernance du pays pour pouvoir satisfaire les besoins fondamentaux de cette population. Donc avec ce projet constitutionnel, les grandes lignes, les grandes orientations des programmes économiques, socioculturels du pays sont esquissées.

Bien sûr, il y aura des nuances en fonction des régimes qui pourront se succéder, mais fondamentalement, nous voulons laisser une trame qui assure stabilité, cohérence et continuité dans l'action générale de la puissance publique.

Ceci dit, d'ores et déjà, par exemple, le droit à la santé, cela veut dire qu'il faut permettre à tout citoyen guinéen ou à toute personne résidant à l'intérieur du territoire national de pouvoir se soigner. Et nous avons fait de grands efforts cette année, notamment par exemple, le taux de vaccination a bondi de 16 %. Dans aucun pays du monde, ce taux n'a pu bondir en une année avec cette progression, cela veut dire que la Guinée est en train de se battre pour faire de telle sorte que la santé soit quelque chose qui soit accessible à tous les citoyens guinéens.

Le nombre de centres de santé qui sont disséminés un peu partout à l'intérieur du pays, les hôpitaux régionaux qui sont en train d'être construits, la formation du corps médical qui va être amplifiée, tout cela répond au souci de remplir avec efficacité le droit constitutionnel du droit à la santé et c'est la même chose pour l'école, il faut que les écoles soient construites et dans quelques mois, des lycées seront construits dans pratiquement toutes les capitales préfectorales et régionales.

Donc cela veut dire que c'est pas ce billet-là qui assurera le droit à l'éducation, le droit à la santé. Et j'espère que, au bout des deux années, nous aurons la capacité de rendre cela effectif sur l'ensemble du territoire national.

Derrière cela, c'est la mise en œuvre, à travers le programme Simandou 2040, des piliers qui sont consacrés au développement du capital humain. Parce que c'est à ce niveau-là que nous devons investir fortement pour que dans la durée infléchir la courbe de la pauvreté et celle de l'analphabétisme.
 
DW: Alors, sur le plan strictement politique, Monsieur le Premier ministre, si le projet de nouvelle Constitution est adopté le 21 septembre prochain, le mandat présidentiel passera de 5 à 7 ans, renouvelable une seule fois. Tout candidat à l'élection présidentielle par ailleurs doit être de nationalité guinéenne. Est-ce que cela signifie qu'aucun prétendant au fauteuil présidentiel ne peut plus posséder de deuxième passeport ?

Non, nous n'entrons pas dans ce type de clivage.

Et sur la question de la nationalité, il faut simplement être de nationalité guinéenne. Maintenant, il se pourrait qu'en plus de cette nationalité, d'autres puissent avoir d'autres nationalités.

Nous sommes un pays qui a une forte diaspora et lorsqu'on dit que le droit constitutionnel est reconnu à la communauté guinéenne établie à l’étranger, donc on ne pourra pas à court terme faire par ce biais-là interdire quelqu'un d'autre qui bénéficierait d'une autre nationalité en plus de sa nationalité guinéenne. Ce serait en contradiction avec l'esprit de projet constitutionnel.

Conakry, Guinée | Mamadi Doumbouya lors de sa prestation de serment en octobre 2021 (archive)
L'opposition guinéenne soupçonne Mamadi Doumbouya de vouloir faire adopter une constitution sur mesures pour pouvoir se maintenir à la tête de l'EtatImage : Cellou Binani/AFP

DW : Parmi les autres innovations contenues dans la nouvelle Constitution, il y a également la candidature indépendante, mais les partis politiques de l'opposition estiment que cette disposition a été sciemment introduite pour favoriser justement le maintien au pouvoir du général Mamadou Doumbouya.
 
Il faut qu’ils cherchent à affiner leurs critiques et n'utilisent pas des gros sabots pour marcher dans le salon.

Je veux tout simplement dire que la candidature indépendante a été une revendication ancienne de la société civile.

Et ceci est dû au fait que les parties ont été caporalisées. Je ne dis pas tous les partis, mais certains, à la tête des partis, se sont comportés comme des roitelets. Rien ne peut être fait sans eux. Et vous en avez des exemples à foison. Vous n'avez qu'à regarder le paysage politique.

C'est donc une ouverture pour permettre à des hommes et des femmes de talent, de compétence, avec bien sûr des critères rigoureux, de pouvoir postuler à assurer des rôles de représentation.
 
DW : L’opposition politique, incarnée par l'UFGD, l'UFR et le RPG, rejette plusieurs dispositions du projet de nouvelle Constitution qu'elle considère comme non consensuelles et non inclusives. Ces partis politiques dénoncent une confiscation du pouvoir par les militaires qui ont pris donc les rênes du pays le 5 septembre 2021. Pourquoi les leaders de ces trois formations politiques sont-ils quasiment exclus du processus électoral en Guinée ?
 
Ils ne sont pas exclus. Si quelqu'un, à titre intuitif, personnel, est en difficulté avec la justice de son pays, c'est une chose. Mais l'institution politique qu'elle est censée représenter a une personnalité morale juridique qui est différente de la personne intuitive, personnelle.

Maintenant, si la personne considère que l'institution morale qu’est le parti est égale et assimilable totalement à sa propre personne, j'imagine ce qu'on peut en déduire de la nature politique de ce parti.

Vous voyez comment des gens qui se disent de l'opposition qui étaient parmi ceux qui avaient appelé à la manifestation du 28 septembre 2009 avec tout ce qui a été enduré par des militants qu'ils ont appelés à manifester et lorsqu'il a fallu organiser les assises nationales, ils ont boudé. Ils ont dit que c'était une mascarade.

Lorsqu'il a fallu lancer les prémices pour le jugement du massacre du 28 septembre 2009, ils ont refusé.

C'est dans le tas que certains d'entre eux ont, par d'autres biais, témoigné.

Donc, ce n'est pas la peine de s'attarder sur des considérations qui me paraissent dommageables parce que je considère que ces hommes qui parlent ont été à un moment donné des représentants de l'État qui ont agi au nom du peuple de Guinée.

Et donc si à travers des actions concrètes, ce peuple à travers, disons, un pouvoir, d’une transition que eux, peut-être, ils n'en ont pas voulu et sont en train d'assumer et de faire ce qui était des revendications majeures de la société guinéenne depuis des décennies et des décennies. De grâce, rendons à César ce qui appartient à César.
 
DW : Dans la diaspora guinéenne, plusieurs mouvements de soutien pour un oui au référendum du 21 septembre prochain organisent des marches de sensibilisation. Ici, en Allemagne, le mouvement Esprit patriotique sera devant le Parlement allemand, le Bundestag, ce 30 août, selon en tout cas le président du comité d'organisation de ce mouvement, Ismaël Dimex Barry. Pourquoi est-il important pour vous et pour le pouvoir de Conakry de soutenir de telles initiatives ?
 
Il faut que les Guinéens se réconcilient avec la politique et avec leur pays. Qu'ils respirent et s'engagent au rythme de l'évolution de leur propre pays. C'est réconfortant et c'est à encourager. Et je pense que cela prouve, contrairement à ce que certains disent, que ce qui est en train d'être fait n'est pas fait pour un groupe de personnes, mais ça prend en compte des attentes et des revendications. De tous les Guinéens, quel que soit l'endroit où ils se trouvent dans le monde.
 

 

Bob Barry Journaliste, présentateur et reporter au programme francophone de la Deutsche Welle@papegent