Notre invitée cette semaine est Katja Keul, la ministre adjointe aux Affaires étrangères de l'Allemagne. Elle revient sur la décision de Berlin qui a récemment annoncé des sanctions contre le Rwanda. L'Allemagne, en décidant de suspendre ses nouvelles aides au développement, a exprimé son désaccord face au rôle que joue Kigali dans la crise dans l'est de la République démocratique du Congo.
Ecoutez, en cliquant sur l'image ci-dessus, l'interview avec Katja Keul
DW : Les rebelles du M23 ont conquis de vastes régions de l'est du Congo. Selon l'Onu, ils sont soutenus par le Rwanda, et maintenant le gouvernement allemand limite sa coopération avec le Rwanda. Concrètement, il n'y aura pas de nouveau soutien financier et la coopération au développement sera revue. Est-ce que c'était une étape inévitable ?
Katja Keul : Oui, dans le contexte actuel, cette décision était inévitable. Nous avons vu une aggravation de la situation dans l'est de la RDC depuis décembre, après que les efforts diplomatiques de l'Angola ont échoué.
Il y a eu une avancée des rebelles avec le soutien de forces étrangères, le soutien de l'armée rwandaise. Dans la situation actuelle dans le monde, c'est quelque chose que nous ne pouvons tolérer, à savoir une violation de la souveraineté territoriale d'un Etat voisin. C'est une violation flagrante du droit international. Et nous montrons notre opposition, non seulement à l'échelle de l'Allemagne, de l'Union européenne, mais aussi sur le plan international.
DW : Pourquoi cela arrive-t-il maintenant - le gouvernement de Paul Kagame n'est-il plus aussi important stratégiquement pour Berlin ?
Katja Keul : Non, c'est en fait la réaction à ce qui se passe sur le terrain, à une intervention militaire massive dans un Etat voisin, et nous devons réagir à cette violation du droit international. Si nous ne le faisons pas, nous perdons aussi toute crédibilité internationale dans ce que nous faisons. Donc de ce point de vue, c'est en fait une réaction à ce que nous constatons sur le terrain.
DW : ... le gouvernement fédéral veut maintenant "chercher une réaction appropriée dans les programmes multilatéraux". Quelles autres mesures sont-elles envisageables pour vous, en vue de faire pression sur Kigali ?
Katja Keul : Nous avons donc tout d'abord un cadre de sanctions au niveau de l'UE, ainsi qu'au niveau de l'Onu.
Nous avons suspendu l'aide au développement, nous examinons les projets en cours pour voir dans quelle mesure nous pouvons les suspendre, et nous examinons aussi au niveau de l'UE l'accord sur les matières premières pour voir dans quelle mesure il peut être suspendu. Ce sont pour l'instant les leviers dont nous disposons.
DW : Vous dites "examiner", alors nous rappellerons peut-être de quoi il s'agit, puisque Bruxelles a signé, il y a environ un an, une déclaration d'intention entre le Rwanda et l'UE, qui doit garantir l'accès des pays membres aux matières premières, tandis que le Rwanda doit recevoir 900 milliards d'euros pour développer, entre autres, ses propres infrastructures. Est-ce à dire que cet accord n'est plus d'actualité ?
Katja Keul : Nous voyons en tout cas que les matières premières jouent aussi un rôle dans ce conflit. Nous voyons aussi que les matières premières sont exportées pendant le conflit militaire.
Le Rwanda exporte aussi des matières premières qui proviennent en partie de l'est du Congo.
Et cela ne peut pas être quelque chose que nous laissons faire et que nous continuons à soutenir avec des fonds de l'UE.
DW : L'Allemagne en particulier a aussi des relations économiques intenses... les sites de montage de Volkwagen, par exemple, se trouvent au Rwanda. Est-ce que vous vous attendez à davantage de retenue ?
Katja Keul : En principe, il est positif d'avoir des liens économiques étroits, mais dans cette situation, nous pouvons tout d'abord utiliser ce que nous avons du côté de l'Etat et nous ne pourrons pas donner de directives à Volkswagen. Mais l'espoir est bien sûr que nous parvenions bientôt à une modération et à une solution qui permettent à nouveau un échange économique.
DW : Il y a une certaine déception dans la région et en particulier en RDC : pourquoi les Européens ne réagissent-ils pas contre le Rwanda par des mesures similaires à celles qu'ils ont prises contre la Russie après l'attaque russe contre l'Ukraine en 2022 ? Avez-vous une explication ?
Katja Keul : Oui, du point de vue congolais, je l'ai entendu moi-même lors de ma visite à Kinshasa, cette comparaison qui consiste à dire : voilà, vous avez réagi de telle manière et pourquoi vous nous laissez tomber ? Mais où il y a bien sûr un point commun, je l'ai dit tout à l'heure, c'est la violation du droit international, et c'est aussi vrai ici.
C'est pourquoi il est si important, aussi pour notre crédibilité internationale, pour la crédibilité de la communauté internationale, que nous disions très clairement qu'il est interdit d'intervenir militairement dans un pays voisin.
DW : Est-ce que vous voyez ce conflit plutôt comme un conflit purement africain, ou est-ce que l'héritage colonial des Européens joue aussi un rôle ?
Katja Keul : Je dirais que ce conflit dans l’est du Congo est vraiment l'un des plus complexes qui soit, si on veut les comprendre, et pour cela il ne suffit pas de regarder les dernières années, il ne suffit probablement même pas de remonter jusqu'en 1994, le génocide au Rwanda, dont nous ressentons encore les effets aujourd'hui, mais effectivement de remonter aussi vraiment à l'époque coloniale.
Il devrait être possible, un jour, que tout le monde s'assoie autour de la table pour créer une sorte de commission de réconciliation ou quelque chose comme ça pour traiter ce conflit.