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Les idées d'extrême-droite font-elles leur chemin dans les écoles allemandes ? | L'Espagne entame le travail de mémoire sur l'ère Franco

Anne Le Touzé | Oliver Pieper | Henry de Laguérie
30 mai 2025

"Abi macht frei" - littéralement "Le bac rend libre" : cette proposition de lycéens allemands comme devise du bac 2026 renvoie aux nazis. Et ce n'est qu'un exemple de dérapages dans les écoles allemandes. // En Espagne, la justice a commencé à enquêter sur les crimes de l'époque franquiste. Mais ce travail de mémoire divise.

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C'est une tradition dans les lycées allemands : trouver la devise du baccalauréat. Les élèves s'en souviendront toute leur vie. Elle est floquée sur des t-shirts ou des sweats à capuche, sert d'inspiration pour les fêtes du bac et autres événements qui marquent la fin de la scolarité.

Mais les futurs bacheliers du Liebiggymnasium de Gießen, dans le centre de l'Allemagne, préfèreraient sans doute oublier certaines propositions adressées pour la devise du bac 2026. 

Des slogans nazis ou islamophobes

Lors du vote en ligne - anonyme - lancé pour trouver la fameuse devise, des propositions pour le moins douteuses ont été envoyées. "Abi macht frei", donc, fait ainsi référence aux panneaux "Arbeit macht frei" - "Le travail rend libre" - fixés au-dessus des camps de concentration et d'extermination nazis. 

L'entrée du camp d'extermination d'Auschwitz-Birkenau
La tristement célèbre devise du camp d'Auschwitz-Birkenau a inspiré des lycéens pour la devise du bac 2026 - blague de mauvais goût ou signe de progression des idées extrémistes ?Image : Artur Widak/NurPhoto/picture alliance

Mais il y a eu aussi "Abi-Akhbar - explosiv durchs Abi", qui fait allusion aux attentats terroristes islamistes. Ou encore "NSDABI - Verbrennt den Duden" - qu'on peut traduire par "Brûlez le dictionnaire", mais qui est à la fois une référence au parti national-socialiste NSDAP, aux juifs et à l'autodafé de 1933.

Des élèves ont immédiatement informé la direction de l'école. L'accès au vote a été supprimé, la promotion du bac 2026 convoquée. La direction de l'établissement a publié un communiqué rappelant que "le racisme, l'antisémitisme et la discrimination n'ont pas leur place dans notre communauté scolaire. Nous nous en portons garants ensemble !". 

Depuis, la police enquête sur le soupçon initial d'incitation à la haine. Difficile, en effet, de savoir s'il s'agit d'une simple provocation, d'un dérapage de quelques bacheliers immatures ou d'une preuve de l'emprise des idées d'extrême droite sur un nombre croissant de jeunes...

De plus en plus de dérapages

Tina Dürr est directrice adjointe du Centre pour la démocratie de Hesse, qui aide et conseille les écoles, les communes ou les associations dans la lutte contre l'extrémisme de droite. Elle n'a pas été particulièrement surprise par l'incident de Gießen. 

Photo d'archive du "Pony" où a eu lieu la fête qui a fait scandale en 2024
Autre fait divers qui a défrayé la chronique : une fête étudiante sur l'île de Sylt, lors de laquelle des chansons racistes ont été chantéesImage : Georg Wendt/dpa/picture alliance

"Les provocations, les propos d'extrême droite, comme cette devise du bac, nous en entendons parler de plus en plus souvent. Ce sont des croix gammées, des insultes d'extrême droite, des saluts hitlériens, des chansons racistes ou d'extrême droite qui sont chantées lors des voyages scolaires. Voici le genre de choses qu'on nous rapporte."

En juin 2024, des élèves de 15 ans originaires de Saxe, dans l'est de l'Allemagne, avaient fait des saluts hitlériens devant le camp d'extermination d'Auschwitz, où les nazis ont assassiné plus d'un million de personnes. L'affaire avait choqué en Allemagne.

Les Länder ne recensent pas de manière uniforme les délits motivés par l'extrême droite dans les écoles, mais une enquête de l'hebdomadaire "Die Zeit" auprès des ministères de l'Intérieur des Länder a révélé une image inquiétante : selon cette enquête, les incidents d'extrême droite ont augmenté d'au moins 30% en 2024 par rapport à l'année précédente. 

C'est un peu moins que la tendance nationale puisque selon l'Office fédéral de la police criminelle, les délits motivés par l'extrême droite sont ceux qui ont le plus augmenté en 2024, avec une hausse de 47,8%, un grand nombre étant des délits de propagande. 

Masculinisme et dévalorisation des femmes, un motif classique de l'extrême droite

Il n'empêche : les écoles sont des miroirs de la société, dans laquelle les positions extrémistes sont de plus en plus tolérées. Tina Dürr, du Centre pour la démocratie de Hesse, y voit un lien direct avec certains types de contenus qui s'adressent particulièrement aux jeunes sur les réseaux sociaux.

Des figurines de lutte lors d'une compétition au Royaume-Uni (photo d'illustration)
De plus en plus de contenus sur les réseaux sociaux mettent en avant une image masculine basée sur la force et remettant les femmes en position inférieure Image : Jon Super/AP Photo/picture alliance

"Les sports de combat sont un exemple, comme les hooligans violents l'étaient à une autre époque. Mais ce qui est de plus en plus exploité - et c'est un élément typique de l'extrémisme de droite, c'est la masculinité toxique: la misogynie, la dévalorisation des femmes et le retour à une image traditionnelle du rôle des sexes. On dévalorise les femmes, et particulièrement celles qui s'affirment, on dévalorise les personnes queer... Ce sont des thèmes qui sont clairement repris par l'AfD et les politiciens présents sur les réseaux sociaux."

Pour Tina Dürr, les enseignants peuvent servir de rempart à ce type d'idéologies, mais le défi est grand pour eux. 

"Il est important que les enseignants soient une sorte de correctif aux idéologies et à la perception du monde que les jeunes rencontrent sur les réseaux sociaux. C'est d'autant plus important que ce monde virtuel joue un grand rôle dans la radicalisation et la propagation d'idées d'extrême droite. Il faut qu'en dehors de ce monde très virtuel, les jeunes puissent entrer en contact avec des personnes et parler, afin que ce qu'on leur raconte là puisse être rectifié."

Tolérance zéro pour les provocations extrémistes

Stefan Düll ne connaît que trop bien le sujet et en a fait l'expérience en tant que directeur d'un lycée en Bavière. Le président de l'Association allemande des enseignants plaide pour une sévérité maximale en cas de dérapage d'extrême droite de la part d'élèves.

Des élèves visitent le camp de concentration de Sachsenhausen en mars 2024
La ministre fédérale de l'Education veut rendre les visites de camps de concentration obligatoires, mais l'éducation est une compétence des LänderImage : DW

"Nous sommes obligés, en tant qu'employés de l'Etat, de signaler les délits. Nous ne pouvons pas les balayer sous le tapis et dire qu'on va régler le problème avec un petit sermon. Non. Même si l'auteur du délit a 13 ans, on le signale à la police. Et la police vient le voir à la maison et lui fait la leçon."

L'affaire de la devise du bac 2026 à Gießen a fait tellement de vagues en Allemagne que la nouvelle ministre de l'Education Karin Prien, du parti chrétien-démocrate, a pris la parole. Elle réclame que la visite de lieux de mémoire comme les camps de concentration devienne obligatoire pour toutes les écoles. 

Selon Stefan Düll, 90% des écoles le font déjà de toute façon. Mais le président de l'Association allemande des enseignants estime qu'il est de plus en plus difficile pour les établissements scolaires d'entretenir la mémoire de l'Holocauste.

La mémoire en péril avec la disparition des derniers témoins

Selon une étude de la Jewish Claims Conference, environ 40% des Allemands de 18 à 29 ans interrogés ne savaient pas qu'environ six millions de Juifs avaient été assassinés à l'époque du national-socialisme. Les témoins de l'époque qui se rendent dans les écoles, comme Margot Friedländer, récemment décédée, disparaissent peu à peu. 

Margot Friedländer décorée de la médaille Mevlüde-Genc en 2024 pour son engagement contre le racisme, l'extrémisme et l'antisémitisme
Margot Friedländer, rescapée de la Shoah, décédée le 9 mai 2025 à l'âge de 103 ans, a œuvré sans relâche pour faire connaître aux jeunes la période nazieImage : Bernd von Jutrczenka/dpa/picture alliance

Et le fossé temporel se creuse, souligne le président de l'Association allemande des enseignants.

"Nous avons d'une part des élèves dont les parents et les grands-parents n'ont absolument rien à voir avec le Troisième Reich, car ils n'ont pas du tout vécu ici. Et nous avons les autres, dont les parents et les grands-parents ne sont nés qu'après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Donc quelque chose a changé en ce qui concerne le lien personnel, le lien familial. Mais pour les anciens, donc pour ma génération et les plus âgés, le troisième Reich est encore présent dans la mémoire familiale. Mes propres parents ont encore grandi sous le Troisième Reich. Donc nous avons des réflexes quand il y a des incidents de ce type. Et les enseignants réagissent de la même manière, même s'ils sont de la jeune génération, parce qu'ils ont aussi appris que cela ne se fait pas, que cela va à l'encontre des valeurs de notre loi fondamentale, même si l'on ne fait que flirter ou jouer en disant que les nazis étaient une troupe cool."

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L'Espagne s'attaque aux crimes franquistes après 50 ans de silence

Des manifestants devant le tribunal de Barcelone, lundi 19 mai 2025
Des manifestants réclament justice pour les victimes de Franco. Parmi eux Blanca Serra, 82 ans, torturée dans les années post franquistes, devant le tribunal de Barcelone, le lundi 19 maiImage : Henry de Laguérie/DW

On continue à faire le lien entre le passé et le présent en deuxième partie de Vu d'Allemagne...

Cinquante ans après la mort de Franco, l’Espagne commence-t-elle à affronter son passé ?

Après plusieurs décennies de silence, fruit d’une loi d’amnistie générale votée en 1977, la justice espagnole commence enfin à enquêter sur les crimes et les exactions du franquisme. 

Mais ce travail de mémoire ne fait pas l’unanimité dans un pays où la dictature de Franco continue de diviser la société. 

A Barcelone, c'est un reportage d'Henry de Laguérie.

 

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