Le coup d’éclat entre Zelenski et Trump vendredi 28 février 2025 a cristallisé les tensions entre l’Europe et les États-Unis. En Allemagne, le probable futur chancelier Friedrich Merz, chef de l'alliance conservatrice CDU/CSU, a montré qu’il était prêt à tourner la page de l’atlantisme allemand. Plus encore, il entend bien mettre l’accent sur le renforcement militaire de l’Europe.
Depuis la victoire de son parti CDU/CSU aux législatives du 23 février, Friedrich Merz a pris des mesures drastiques, rompant avec les lignes traditionnelles de son parti.
Le 4 mars déjà, le futur chancelier présumé annonce - en concertation avec les sociaux-démocrates - la création d'un fonds spécial de 500 milliards d'euros sur dix ans pour les infrastructures dans le secteur du transport, de l’énergie et du logement.
Mais surtout, il prévoit un budget "quoi qu'il en coûte" pour renforcer les capacités de défense de l'Allemagne... Une annonce exceptionnelle, mais qui ne s’arrête pas là.
Face aux tensions entre l’Europe et les États-Unis, Friedrich Merz cherche à montrer qu'il est prêt à diriger l'Allemagne.
Assouplir le frein à l'endettement, une petite révolution en Allemagne
Le chantier prioritaire est l’assouplissement de la rigueur budgétaire allemande, le fameux "frein à l'endettement". Cette règle d’austérité budgétaire, instaurée en 2009 par Angela Merkel, plafonne le déficit en limitant les investissements publics.
Elle a été une des raisons de l'échec de la coalition d'Olaf Scholz avec les Verts et les Libéraux.
Pourquoi rompre avec le frein à l'endettement ? Il s'agit de s’aligner sur la position des alliés européens, qui prévoient une augmentation considérable du budget de la défense européenne - 800 milliards, selon les annonces de la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
Il faut toutefois encore l'accord aux deux tiers du Bundestag pour modifier l'article de la Constitution qui régit le frein à l'endettement.
Pourquoi le virage de l'Allemagne en matière de défense ?
Assiste-t-on, à l'image de la "Zeitenwende" d'Olaf Scholz en 2022, à un nouveau changement d’ère version Friedrich Merz ? Selon Paul Maurice, secrétaire général du Comité d’Études des Relations franco-allemandes, la Zeitenwende d’Olaf Scholz n'était en fait qu'une première étape : le gouvernement du social-démocrate Olaf Scholz a lancé en 2022 un fonds spécial de 100 milliards d'euros pour consolider la Bundeswehr.
Mais Friedrich Merz va nettement plus loin : il envisage une "rupture d'époque", Epochenbruch en allemand. Il s'agirait d'une émancipation historique par rapport aux Etats-Unis, allié de la République fédérale depuis la fin de la Seconde guerre mondiale.
D’un côté, l’Allemagne questionne donc son alliance historique avec les Etats-Unis et de l’autre, tente de trouver un compromis entre sa position pacifique traditionnelle et l’investissement dans sa défense militaire. Pour Paul Maurice, l’un ne va pas sans l’autre. Il faut, selon lui, "préparer la guerre pour instaurer la paix".
Les Allemands perçoivent la menace
Autrement dit, la vraie rupture envisagée par Friedrich Merz consiste à développer une force militaire de dissuasion. Et c'est délicat pour un pays comme l'Allemagne, qui a un problème historique avec la question militaire, puisque cela rappelle le traumatisme de la Seconde guerre mondiale.
Les menaces sont toutefois réelles aujourd'hui, et l'opinion allemande a elle aussi changé. Les Allemands ont compris, selon Paul Maurice, qu'on peut rester pacifiste en ayant une armée.
Selon un récent sondage de la fondation Körber, 57% des Allemands sont favorables à un soutien militaire à l'Ukraine. Même si la question continue de diviser, au sein de la gauche allemande surtout.
Rappelons que l'Ukraine n'est à quelques milliers de kilomètres de la frontière allemande. La suspension de l'aide militaire américaine à Kiev a provoqué un sursaut chez les Européens. Et les Allemands sont en passe de devenir, aux côtés de la France, les principaux avocats d'une stratégie européenne de défense.
Selon Vira Ratsiborynska, professeure sur l’OTAN et les approches transatlantiques de la sécurité à l’université libre de Bruxelles, l’heure est à la formation de nouvelles alliances, notamment avec le Royaume-Unis, qui apporterait ses capacités de renseignement et son industrie, en plus de partager une même vision. "Ce serait un message stratégique envers les Etats-Unis", explique-t-elle.
Une défense européenne concertée pour répondre à Donald Trump
L'idée n'est donc pas de rompre totalement avec les Etats-Unis, l'Allemagne n'en a ni l'intérêt ni les capacités puisque le pays abrite encore des bases, mais aussi des bombes nucléaires américaines.
Selon Paul Maurice, du Comité d'Etudes franco-allemandes, le parapluie nucléaire américain ne peut pas, pour le moment du moins, être remplacé par une défense européenne puisque celle-ci n'existe pas encore. "L'Allemagne a un rôle important à jouer pour renforcer l'industrie de défense dans le cadre d'une politique européenne coordonnée qui anticipe l'avenir", souligne-t-il.
Lors d'une interview à la radio Deutschlandfunk, dimanche 9 mars, Friedrich Merz a proposé d'élargir le bouclier nucléaire français et britannique à l'Allemagne, face aux incertitudes des États-Unis envers l'OTAN. Cette initiative pourrait renforcer la sécurité de l'Allemagne tout en consolidant les alliances européennes.
Le favori à la chancellerie allemande a également clairement rappelé que "l'Allemagne ne pourra pas, ni ne sera autorisée à posséder elle-même des armes nucléaires", puisque le pays est signataire du Traité international sur la non-prolifération.
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Entre la Thuringe et la Bavière, Otto Oeder et Günter Heinze œuvrent pour l'amitié germano-allemande
Vu d'Allemagne, deuxième partie... On reste en Allemagne pour remonter le temps. Pendant près de 40 ans, l'Allemagne était divisée en deux : à l'ouest, la République fédérale RFA, et à l'est la République démocratique RDA.
La frontière est devenue invisible, mais on la remarque par exemple au moment des élections. Lors des dernières législatives, le 23 février, l'extrême droite a remporté la quasi-totalité des circonscriptions de l'ex-RDA.
Notre reportage de la semaine nous emmène à l'ancienne frontière, aujourd'hui située entre les Länder de Thuringe et de Bavière. Otto Oeder était garde frontière en Allemagne de l’Ouest, Günter Heinze était ancien soldat à la frontière en RDA. Les deux retraités se sont liés d’amitié après la Réunification. Aujourd'hui, ils œuvrent pour l'amitié germano-allemande.
Niklas Mönch a passé une journée avec eux, sur les traces de leur passé...
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