Friedrich Merz, futur chancelier CDU... avec le SPD?
24 février 2025On pourrait résumer ainsi les résultats des élections législatives anticipées qui se sont tenues hier [24.02.25] en Allemagne : un taux de participation-record de 83 à 84%, les conservateurs de la CDU/CSU arrivent en tête, le SPD d'Olaf Schoz entre en débâcle, et un électeur sur cinq vote pour l'extrême-droite.
La victoire en demi-teinte de la CDU/CSU
Remporter les élections et voir son candidat principal devenir chancelier. La droite conservatrice CDU-CSU a atteint son objectif principal, comme l'a clamé Friedrich Merz qui, selon toute vraisemblance, sera chargé de composer le prochain gouvernement :"Nous, de la CDU et de la CSU, l'Union conservatrice, nous avons gagné ces élections 2025."
Néanmoins, la joie était contenue, hier soir, au siège de la CDU, à Berlin : durant la campagne, les militants conservateurs visaient "plus de 30% des voix". Finalement, ce ne sont qu'un peu plus de 28%. Et cela ne suffit pas à la droite pour gouverner seule.
L'AfD double son score
D'un point de vue arithmétique, c'est le parti arrivé en deuxième place qui offrirait la majorité la plus confortable au Parlement : l'AfD, le parti d'extrême-droite, pour lequel un électeur sur cinq a voté et qui a doublé son score par rapport aux dernières élections. D'où l'euphorie d'Alice Weidel, coprésidente de l'AfD :
"Nous avons obtenu un résultat historique. Nous n'avons jamais été aussi forts au niveau fédéral. Nous sommes devenus la deuxième force en tant qu'Alternative pour l'Allemagne et nous sommes désormais solidement ancrés en tant que parti populaire. Et je dois dire une chose : notre main sera toujours tendue pour une participation au gouvernement. Mettre en œuvre la volonté du peuple, la volonté de l'Allemagne. Nous sommes prêts à participer à un gouvernement."
L'AfD prétend que c'est seulement avec elle que la CDU/CSU pourrait appliquer son programme – notamment le volet concernant la lutte contre l'immigration irrégulière.
Sauf que les conservateurs l'ont dit et répété durant la campagne : il n'est pas question de s'allier avec l'extrême-droite.
Friedrich Merz a ainsi re-déclaré hier soir : "Nous avons des opinion fondamentalement divergentes, en matière de politique étrangère notamment, de politique de sécurité et dans bien d'autres domaines tels que l'Union européenne, l'Otan, ou l'euro."
Et le probable futur chancelier d'ajouter, à l'intention d'Alice Weidel de l'AfD : "Vous pouvez nous tendre la main autant que vous voulez"… sous-entendant : "Nous ne la saisirons pas". De son côté, l'extrême-droite a prévenu qu'elle "chasserait les autres partis pour que [la droite] mène une politique raisonnable pour [le] pays".
Cherche partenaire de coalition
Une "grande coalition", ou "coalition noire-rouge" est donc la plus probable – c'est-à-dire une alliance avec le SPD social-démocrate.
Mais le SPD comme les écologistes, qui figuraient dans le gouvernement sortant, doivent d'abord digérer leur défaite électorale. Les sociaux-démocrates n'ont obtenu qu'un peu plus de 16% des voix, ce qui est leur plus mauvais résultat depuis 1890 ! Et le chancelier sortant, Olaf Scholz, en assume sa part de responsabilité :
"C'est un résultat amer pour le parti social-démocrate. C'est aussi une défaite électorale, je pense qu'il faut le dire clairement et sans ambiguïté. Mais pour moi, il est crucial que nous nous disions que c'est un résultat à partir duquel nous devons aller ensemble de l'avant."
Le ministre sortant de la Défense, le populaire Boris Pistorius (SPD) qualifie quant à lui le résultat de son propre camp de "dévastateur et catastrophique". Olaf Scholz est le seul chancelier des cinq dernières décennies à ne pas avoir été réélu.
Les autres partis
Le SPD n'a pas été le seul à être sanctionné par les électeurs. Le FDP a subi une perte drastique, puisque les libéraux n'ont pas atteint la barre des cinq pour cent et que leur parti ne sera donc pas représenté au prochain Bundestag. Le chef du FDP, Christian Lindner, a annoncé son retrait de la vie politique après cette défaite.
Les pertes des écologistes restent limitées. Le chef de file des Verts, Robert Habeck, parle d'un "résultat honorable". "Nous n'avons pas été si fortement sanctionnés, mais nous voulions plus, reconnaît-il, et nous n'y sommes pas parvenus".
Si les Verts devaient être sollicités par la CDU/CSU pour former une coalition, son parti serait prêt à discuter, a déclaré Robert Habeck avant la fin des opérations de dépouillement. Les résultats définitifs montrent que les conservateurs n'auront toutefois pas besoin de s'allier aux Verts pour s'appuyer sur une majorité au Bundestag.
Les libéraux du FDP ne siègeront pas dans la nouvelle Assemblée du Bundestag, ni le nouveau parti BSW : aucun des deux partis n'a atteint 5% des suffrages.
Avant même les élections, la droite avait exclu de s'allier avec le Parti de gauche (Die Linke) et avec la nouvelle formation de Sahra Wagenknecht (BSW), qui est, elle, issue d'une scission d'avec Die Linke, début 2024.
En revanche, à gauche justement, Die Linke enregistre une forte progression (8,8% des voix). Mais la droite ne veut pas gouverner avec ce parti.
De nombreux défis
Friedrich Merz veut néanmoins que le gouvernement se constitue rapidement. "Le monde extérieur ne nous attend pas, il n'attendra pas non plus la fin de négociations de coalition interminables", a -t-il déclaré.
L'Allemagne doit maintenant retrouver rapidement sa capacité d'action, estime-t-il, "afin de retrouver sa place en Europe et dans le monde". C'est pourquoi la CDU recommande d'élaborer un contrat de coalition sous la forme d'un "cadre" de principe plutôt qu'un projet de gouvernement détaillé.
Un trou de plusieurs milliards dans le budget
Le plus grand défi du prochain gouvernement sera de financer les prochains budgets. Les ressources fiscales sont désormais insuffisantes pour couvrir les dépenses de l'Etat. Or celles-ci sont en augmentation, avec la remise en état des infrastructures abîmées, la transformation écologique du pays… qui s'ajoutent au fait que l'Allemagne traverse en ce moment la crise économique la plus forte depuis la réunification de 1990.
Ces élections législatives étaient les premières depuis l‘attaque de la Russie en Ukraine, le 24 février 2022.
Depuis lors, le gouvernement allemand a fourni une aide militaire d'environ 28 milliards d'euros à l'Ukraine. Après les Etats-Unis, l'Allemagne a ainsi été le plus grand soutien du gouvernement de Kyiv.
Mais depuis l'entrée en fonction du président américain Donald Trump, la donne a changé puisque le nouveau gouvernement américain semble décidé à tourner le dos à l'Europe. Washington estime qu'il revient aux Européens de fournir une aide supplémentaire à l'Ukraine et d'être capables de s'occuper eux-même de leur propre défense.
Les attentes internationales envers l'Allemagne
Le nouveau gouvernement fédéral va devoir fixer rapidement des priorités. Surtout si l'Allemagne veut retrouver le rang politique que la CDU a invoqué pendant la campagne électorale. "Nous devons, en tant qu'Allemagne, reprendre un rôle de leader en Europe, pas de dominateurs, mais aux côtés de la France, de la Pologne, avec une Union européenne forte", a ainsi déclaré le secrétaire général de la CDU, Carsten Linnemann, sur la chaîne ARD peu avant les élections.
Outre les initiatives diplomatiques, cette ambition nécessite de gros efforts financiers. Le principal point de désaccord dans les négociations de coalition devrait être la provenance de ces fonds : Faut-il contracter de nouveaux emprunts ou de redéployer le budget fédéral ? Et en la matière, il existe de profondes divergences entre la CDU/CSU et les sociaux-démocrates.
Qu'adviendra-t-il du frein à l'endettement ?
La Constitution allemande interdit que les dépenses d'argent dépassent les recettes. Des exceptions sont prévues pour certaines situations d'urgence, comme les catastrophes naturelles ou les crises économiques graves.
Le SPD et les Verts estiment qu'il est devenu inéluctable de contracter de nouvelles dettes. Le candidat de la CDU, Friedrich Merz, y est opposé : il mise sur une reprise de la croissance économique et réclame des coupes dans les prestations sociales. Ce que le SPD considère comme inacceptable. Quant aux écologistes, ils refuseraient tout compromis supplémentaire dans la politique climatique.
La suite des événements
La nouvelle assemblée du Bundestag doit se constituer au plus tard 30 jours après les élections. La séance inaugurale devra donc avoir lieu d'ici au 25 mars. C'est elle qui met fin au mandat du chancelier sortant et de son gouvernement. L‘équipe actuelle continuera, sous la direction d'Olaf Scholz, à expédier les affaires courantes jusqu'à ce que le nouveau gouvernement soit connu.