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Comment l'AfD contribue à la polarisation en Allemagne | Deux mois de manifestations étudiantes anti-Erdogan en Turquie

Anne Le Touzé | Oliver Pieper | Marie Tihon
16 mai 2025

Faut-il interdire l'AfD ? La question est de nouveau sur la table en Allemagne, après que l'Office de protection de la Constitution a classé le parti comme "extrémiste de droite confirmé". Mais une possible interdiction alimente aussi les craintes de voir la société allemande se diviser encore plus. // En Turquie, les étudiants manifestent toujours contre la détention du maire d'Istanbul.

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Berlin, Dresde, Hannovre, Brême, Munich... Des milliers de personnes ont de nouveau manifesté dimanche 11 mai dans une soixantaine de villes d'Allemagne pour réclamer l'interdiction de l'AfD.

Manifestation à Fribourg contre l'extrême droite le 11 mai 2025
"Pour la diversité et la solidarité" : Des milliers de personnes ont manifesté dans 60 villes d'Allemagne contre l'AfDImage : Philipp von Ditfurth/dpa/picture alliance

Pour les organisateurs de la campagne "AfD-Verbot jetzt", cela ne fait aucun doute : le parti Alternative pour l'Allemagne est bien un parti d'extrême droite. 

C'est aussi l'avis de l'Office de protection de la Constitution : début mai, le Verfassungsschutz a classé l'AfD comme "extrémiste de droite confirmé". Mais le parti a porté plainte et en attendant le verdict du tribunal, le service de renseignement intérieur a été obligé de suspendre sa déclaration.

Sur le podium de la manifestation à Berlin, Luisa, membre du collectif "Ensemble contre l'extrême droite", a rappelé pourquoi l'interdiction du parti n'est selon elle plus qu'une question de temps :

"Avec l'AfD, c'est un parti raciste, antisémite, méprisant, fasciste qui se rapproche de plus en plus du centre du pouvoir. Il y a suffisamment de preuves. Les conditions d'une procédure d'interdiction de l'AfD sont réunies et elle a de bonnes chances d'aboutir. Nous exigeons l'interdiction de l'AfD maintenant !"

L'AfD, parti anti-démocratique pour deux tiers des Allemands

Deux Allemands sur trois estiment que les objectifs de l'AfD sont contraires à la démocratie, à l'État de droit et à la dignité humaine. Mais la question de l'interdiction du parti divise. 

Environ 500 personnes étaient au rendez-vous à la manifestation de Dresde le 11 mai
Deux tiers des Allemands considèrent que l'AfD porte des valeurs contraires à la dignité humaineImage : Matthias Schumann/epd/picture alliance

Ceux qui s'opposent à l'interdiction craignent une polarisation encore plus grande de la société allemande : ils avancent comme argument que les dix millions d'électeurs de l'AfD ne disparaîtraient pas avec le parti. Ceux qui l'approuvent insistent sur le danger que représente un parti anti-démocratique devenu première force d'opposition au Bundestag et dans certains parlements régionaux.

Johannes Kiess, directeur adjoint de l'Institut Else-Frenkel-Brundwik pour la recherche sur la démocratie à l'université de Leipzig, fait partie de ceux qui plaident pour que la Cour constitutionnelle fédérale lance une procédure d'interdiction de l'AfD :

"Si la conclusion est que l'AfD ne met pas en danger l'ordre démocratique, il faudra continuer à l’affronter dans les parlements. Mais si l'on parvient à la conclusion que oui, il s'agit effectivement d'une menace qui doit être prise au sérieux au point de devoir interdire le parti, nous devrons néanmoins continuer à nous pencher sur le thème de la division de la société. Mais au moins, nous n'aurons plus un acteur qui favorise consciemment et intentionnellement cette division".

Revoir le traitement médiatique de l'AfD

La réévaluation de l'AfD par l'Office de protection de la Constitution a également alimenté le débat sur la manière dont les médias allemands traitent le parti. L'Association allemande des journalistes a lancé un appel aux médias de ne pas considérer l'AfD comme une voix normale dans le spectre démocratique.

Une conférence de presse d'Alice Weidel, la patronne de l'AfD, vue depuis quatre écrans
Trop d'attention médiatique pour le parti AfD, estime le spécialiste de l'extrême droite Josef HolnburgerImage : picture alliance/dpa

Josef Holnburger, directeur du thinktank CeMAS (Center for Monitoring, Analyse and Strategy), préconise lui aussi de modifier la couverture médiatique relative au parti et aux thèmes qu'il défend. 

Il prend l'exemple de l'immigration pendant la campagne des législatives de février, traitée de manière disproportionnée par rapport à d'autres sujets dans les médias - bien que l'AfD affirme le contraire.

"L'AFD ne sera jamais satisfaite de la couverture médiatique. Donc ça ne sert à rien de reprendre encore et encore ses thèmes en espérant pacifier ses électeurs. Le parti jouera toujours le rôle de victime et prétendra que ses thèmes sont mis en lumière de manière négative, même si on leur met constamment le micro sous le nez."

Josef Holnburger appelle à ne pas accorder une importance plus grande que nécessaire à l'AfD. Il cite l'exemple tout récent de l'élection de Friedrich Merz comme chancelier au Bundestag. 

Pour la première fois de l'histoire de la République fédérale, un chancelier n'a pas été élu au premier tour de vote.

Bundestag : Alice Weidel félicite Merz pour son élection
Friedrich Merz est le premier chancelier à ne pas être élu au premier tour par les députésImage : Markus Schreiber/AP Photo/picture alliance

Les analyses qui ont suivi, aussi bien chez les politiques que chez les journalistes, ont dénoncé la responsabilité des 18 députés dissidents qui auraient nui à la démocratie et fait le jeu de l'AfD en refusant de voter pour Friedrich Merz

Alors qu'ils exerçaient simplement leur droit démocratique.

"Bien sûr, cet échec a créé une certaine incertitude, notamment pour le nouveau gouvernement. Et nous savons que l'AfD instrumentalise les incertitudes pour son capital politique. C’est pour ça que l'AfD a tenté d'utiliser l'échec de l'élection du chancelier au premier tour à son profit et demandé directement de nouvelles élections, sous-entendant que l'Allemagne ne serait plus en mesure d'être gouvernée."

A quel point la société allemande est-elle divisée ?

En surfant sur les incertitudes et la polarisation, l'AfD a réussi à convaincre des millions d'électeurs. Mais la société allemande est-elle aussi divisée qu'elle en a l'air ? 

"Des forêts plutôt que des éoliennes" : une affiche de l'AfD dans la région de Thuringe en 2024
L'AfD a fait campagne dans les régions rurales contre les éoliennes, un sujet polarisant par excellenceImage : Müller-Stauffenberg/IMAGO

Selon Adrian Blattner, chercheur à l'université de Stanford sur les questions de polarisation sociale et politique, la méfiance et l'aversion envers les personnes qui ont une opinion politique divergente augmentent, mais elles ne sont pas encore aussi prononcées que dans d'autres pays comme les Etats-Unis ou le Brésil.

"Aujourd'hui, les personnes qui soutiennent le SPD et la CDU/CSU ont des attitudes et des sentiments nettement plus positifs les unes envers les autres qu'il y a 30 ou 40 ans. En ce sens, la société s'est rapprochée du centre. La deuxième grande tendance est que les sentiments négatifs à l'égard des nouveaux et des petits partis ont nettement augmenté. Cela devient problématique lorsque des partis comme l'AfD développent fortement leur électorat et gagnent en importance politique. Ainsi, plus l'AfD prend de l'ampleur, plus le fossé se creuse dans la société."

Réduire la polarisation par le dialogue

Que faire pour réduire la polarisation ? Selon Adrian Blattner, il faut encourager le dialogue. C'est ce que fait le média allemand "Zeit Online". Depuis 2017, le projet "Deutschland spricht" (L'Allemagne parle) offre un espace de discussion à des personnes aux opinions politiques totalement opposées. 

Conférence de presse à Berlin entre Friedrich Merz et Lars Klingbeil pour la signature du contrat de coalition, le 5 mai 2025
Preuve que la société s'est rapprochée du centre, le nouveau contrat de coalition entre la CDU/CSU et le SPD en AllemagneImage : Ebrahim Noroozi/AP Photo/picture alliance

Adrian Blattner a analysé cette initiative en 2021, année d'élections au Bundestag. Il est arrivé à la conclusion que les participants avaient des sentiments nettement plus positifs envers l'autre groupe politique après la discussion. 

Selon lui, un dialogue constructif peut également être possible entre l'électeur urbain typique des Verts et l'électeur rural typique de l'AfD.

"Certains électeurs des Verts et du SPD soutiennent une politique migratoire plus dure, et parmi les électeurs de l'AfD, il y a aussi des partisans de mesures climatiques. Mais si l'on commence à mettre tous les électeurs d'un parti dans le même panier, c'est problématique, car cela renforce les sentiments négatifs à l'égard de l'autre camp. On évite de plus en plus le contact, ce qui crée un cercle vicieux de polarisation."

Selon le chercheur, il faut aussi trouver des moyens pour continuer, dans l'espace privé, à échanger avec des personnes qui défendent d'autres points de vue politiques, même si c'est parfois douloureux. 

De quoi alimenter la discussion au prochain repas de famille...
 
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Les étudiants turcs toujours vent debout contre Erdogan

Les étudiants manifestent depuis presque deux mois contre la détention d'Ekrem Imamoglu
« Loi, droit, justice ! », « Le gouvernement doit démissionner » sont les slogans scandés par les manifestants turcs depuis presque deux mois à travers tout le paysImage : Marie Tihon/DW

En Turquie, la fronde continue, près de deux mois après l’arrestation du maire d’Istanbul, le 19 mars dernier. 

Des dizaines de milliers d'étudiants turcs manifestent presque quotidiennement dans les rues de la ville pour protester contre la détention d'Ekrem Imamoglu. 

Ils ont la vingtaine, sont déterminés, étudient dans les plus grandes universités du pays, et surtout ils n’ont connu que « lui ». Lui c’est le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à la tête du pays depuis 23 ans. 

Mobilisés contre son gouvernement, l’arrestation du principal rival du chef de l’Etat n’est finalement qu’un symbole d’une lutte plus large pour leurs libertés.

Marie Tihon revient sur ces deux mois de contestation de cette génération engagée à Istanbul. 

 

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Deutsche Welle Anne Le Touzé
Anne Le Touzé Journaliste au programme francophone de la DWnanetouz
Marie Tihon Correspondante DW Afrique en Turquie
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Politique, économie, histoire... Vu d'Allemagne est un podcast hebdomadaire sur l'Allemagne, avec un grand reportage international en seconde partie d'émission.