Berlin, Dresde, Hannovre, Brême, Munich... Des milliers de personnes ont de nouveau manifesté dimanche 11 mai dans une soixantaine de villes d'Allemagne pour réclamer l'interdiction de l'AfD.
Pour les organisateurs de la campagne "AfD-Verbot jetzt", cela ne fait aucun doute : le parti Alternative pour l'Allemagne est bien un parti d'extrême droite.
C'est aussi l'avis de l'Office de protection de la Constitution : début mai, le Verfassungsschutz a classé l'AfD comme "extrémiste de droite confirmé". Mais le parti a porté plainte et en attendant le verdict du tribunal, le service de renseignement intérieur a été obligé de suspendre sa déclaration.
Sur le podium de la manifestation à Berlin, Luisa, membre du collectif "Ensemble contre l'extrême droite", a rappelé pourquoi l'interdiction du parti n'est selon elle plus qu'une question de temps :
"Avec l'AfD, c'est un parti raciste, antisémite, méprisant, fasciste qui se rapproche de plus en plus du centre du pouvoir. Il y a suffisamment de preuves. Les conditions d'une procédure d'interdiction de l'AfD sont réunies et elle a de bonnes chances d'aboutir. Nous exigeons l'interdiction de l'AfD maintenant !"
L'AfD, parti anti-démocratique pour deux tiers des Allemands
Deux Allemands sur trois estiment que les objectifs de l'AfD sont contraires à la démocratie, à l'État de droit et à la dignité humaine. Mais la question de l'interdiction du parti divise.
Ceux qui s'opposent à l'interdiction craignent une polarisation encore plus grande de la société allemande : ils avancent comme argument que les dix millions d'électeurs de l'AfD ne disparaîtraient pas avec le parti. Ceux qui l'approuvent insistent sur le danger que représente un parti anti-démocratique devenu première force d'opposition au Bundestag et dans certains parlements régionaux.
Johannes Kiess, directeur adjoint de l'Institut Else-Frenkel-Brundwik pour la recherche sur la démocratie à l'université de Leipzig, fait partie de ceux qui plaident pour que la Cour constitutionnelle fédérale lance une procédure d'interdiction de l'AfD :
"Si la conclusion est que l'AfD ne met pas en danger l'ordre démocratique, il faudra continuer à l’affronter dans les parlements. Mais si l'on parvient à la conclusion que oui, il s'agit effectivement d'une menace qui doit être prise au sérieux au point de devoir interdire le parti, nous devrons néanmoins continuer à nous pencher sur le thème de la division de la société. Mais au moins, nous n'aurons plus un acteur qui favorise consciemment et intentionnellement cette division".
Revoir le traitement médiatique de l'AfD
La réévaluation de l'AfD par l'Office de protection de la Constitution a également alimenté le débat sur la manière dont les médias allemands traitent le parti. L'Association allemande des journalistes a lancé un appel aux médias de ne pas considérer l'AfD comme une voix normale dans le spectre démocratique.
Josef Holnburger, directeur du thinktank CeMAS (Center for Monitoring, Analyse and Strategy), préconise lui aussi de modifier la couverture médiatique relative au parti et aux thèmes qu'il défend.
Il prend l'exemple de l'immigration pendant la campagne des législatives de février, traitée de manière disproportionnée par rapport à d'autres sujets dans les médias - bien que l'AfD affirme le contraire.
"L'AFD ne sera jamais satisfaite de la couverture médiatique. Donc ça ne sert à rien de reprendre encore et encore ses thèmes en espérant pacifier ses électeurs. Le parti jouera toujours le rôle de victime et prétendra que ses thèmes sont mis en lumière de manière négative, même si on leur met constamment le micro sous le nez."
Josef Holnburger appelle à ne pas accorder une importance plus grande que nécessaire à l'AfD. Il cite l'exemple tout récent de l'élection de Friedrich Merz comme chancelier au Bundestag.
Pour la première fois de l'histoire de la République fédérale, un chancelier n'a pas été élu au premier tour de vote.
Les analyses qui ont suivi, aussi bien chez les politiques que chez les journalistes, ont dénoncé la responsabilité des 18 députés dissidents qui auraient nui à la démocratie et fait le jeu de l'AfD en refusant de voter pour Friedrich Merz.
Alors qu'ils exerçaient simplement leur droit démocratique.
"Bien sûr, cet échec a créé une certaine incertitude, notamment pour le nouveau gouvernement. Et nous savons que l'AfD instrumentalise les incertitudes pour son capital politique. C’est pour ça que l'AfD a tenté d'utiliser l'échec de l'élection du chancelier au premier tour à son profit et demandé directement de nouvelles élections, sous-entendant que l'Allemagne ne serait plus en mesure d'être gouvernée."
A quel point la société allemande est-elle divisée ?
En surfant sur les incertitudes et la polarisation, l'AfD a réussi à convaincre des millions d'électeurs. Mais la société allemande est-elle aussi divisée qu'elle en a l'air ?
Selon Adrian Blattner, chercheur à l'université de Stanford sur les questions de polarisation sociale et politique, la méfiance et l'aversion envers les personnes qui ont une opinion politique divergente augmentent, mais elles ne sont pas encore aussi prononcées que dans d'autres pays comme les Etats-Unis ou le Brésil.
"Aujourd'hui, les personnes qui soutiennent le SPD et la CDU/CSU ont des attitudes et des sentiments nettement plus positifs les unes envers les autres qu'il y a 30 ou 40 ans. En ce sens, la société s'est rapprochée du centre. La deuxième grande tendance est que les sentiments négatifs à l'égard des nouveaux et des petits partis ont nettement augmenté. Cela devient problématique lorsque des partis comme l'AfD développent fortement leur électorat et gagnent en importance politique. Ainsi, plus l'AfD prend de l'ampleur, plus le fossé se creuse dans la société."
Réduire la polarisation par le dialogue
Que faire pour réduire la polarisation ? Selon Adrian Blattner, il faut encourager le dialogue. C'est ce que fait le média allemand "Zeit Online". Depuis 2017, le projet "Deutschland spricht" (L'Allemagne parle) offre un espace de discussion à des personnes aux opinions politiques totalement opposées.
Adrian Blattner a analysé cette initiative en 2021, année d'élections au Bundestag. Il est arrivé à la conclusion que les participants avaient des sentiments nettement plus positifs envers l'autre groupe politique après la discussion.
Selon lui, un dialogue constructif peut également être possible entre l'électeur urbain typique des Verts et l'électeur rural typique de l'AfD.
"Certains électeurs des Verts et du SPD soutiennent une politique migratoire plus dure, et parmi les électeurs de l'AfD, il y a aussi des partisans de mesures climatiques. Mais si l'on commence à mettre tous les électeurs d'un parti dans le même panier, c'est problématique, car cela renforce les sentiments négatifs à l'égard de l'autre camp. On évite de plus en plus le contact, ce qui crée un cercle vicieux de polarisation."
Selon le chercheur, il faut aussi trouver des moyens pour continuer, dans l'espace privé, à échanger avec des personnes qui défendent d'autres points de vue politiques, même si c'est parfois douloureux.
De quoi alimenter la discussion au prochain repas de famille...
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Les étudiants turcs toujours vent debout contre Erdogan
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Ils ont la vingtaine, sont déterminés, étudient dans les plus grandes universités du pays, et surtout ils n’ont connu que « lui ». Lui c’est le président turc, Recep Tayyip Erdogan, à la tête du pays depuis 23 ans.
Mobilisés contre son gouvernement, l’arrestation du principal rival du chef de l’Etat n’est finalement qu’un symbole d’une lutte plus large pour leurs libertés.
Marie Tihon revient sur ces deux mois de contestation de cette génération engagée à Istanbul.
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